dimanche 22 juin 2014
Dernière modification : dimanche 22 juin 2014
Ce vendredi 20 juin, nous avons été une centaine, membres du CIPCL, Collectif Intermittents Précaires Chômeurs de Lorraine à venir occuper le plateau de l’Opéra de Nancy et empêcher la création mondiale d’Il medico die Pazzi, de Giorgio Battistelli.
Le public était entré en salle et à 20 h, le directeur de l’opéra, Laurent Spielmann a pris la parole, affichant son inquiétude quant à la situation du conflit social et sa solidarité aux mouvements de protestations et de grève.
Puis une délégation de l’orchestre a pris la parole à son tour exposant une analyse approfondie des raisons de mobilisation des intermittents et de leurs revendications. Ils avaient voté en AG, et ils s’étaient prononcés contre la grève.
Puis le rideau s’est ouvert sur nous, occupants le plateau. Nous avons lu le communiqué que nous vous joignons plus bas, à la fin duquel nous annoncions qu’en la circonstance, après les déclarations du premier ministre Manuel Valls la veille, il était impossible que la représentation ait lieu [1]. Le public a réagi de façon partagée, moitié applaudissant, moitié huant.
Une centaine d’entre eux sont restés et nous avons engagé la discussion. Il s’y exprimait différentes choses. Leur grande compréhension de notre détresse et colère. Mais souvent, l’incompréhension de notre mode d’action. Pour quelques un, c’est à noter, leur soutien à cela. Leur besoin de comprendre nos revendications, leur demande de leur expliquer, admettant par là leurs lacunes d’information dans un problème de si grande envergure. Leur consternation devant le peu d’information que les médias leur avaient fourni [2]. Nous leur avons expliqué. Ils ne comprenaient pas que nous mettions en péril nos outils de travail et notre relation avec eux. Nous leur avons dit qu’après tout ce que nous avions tenté depuis tant de temps, c’était là bien la seule mesure que nous pouvions encore donner à notre lutte. Pour nous, comme pour toutes les si nombreuses équipes en grève aujourd’hui partout en France [3], notre acte révélait la dimension de notre colère et notre détermination à tenir bon dans un combat dont nous connaissions le prix et la justesse. Que le seul vrai responsable était le gouvernement, dans son obstination à ne vouloir pas nous entendre [4].
L’action s’était montée en bonne communication avec l’équipe et la direction. Ils nous avaient dit qu’ils ne s’opposeraient pas à notre volonté, si celle-ci était d’empêcher le spectacle. Ils nous avaient fourni les résultats du vote, 120 contre la grève, 60 pour et 21 abstentions. Mais une forte déception s’exprimait dans l’équipe, et des avis là encore partagés sur notre choix de l’annulation.
Il est important pour nous de dire que quand nous sommes sortis, nous éprouvions tous comme un malaise et une grande tristesse. Annuler un spectacle est un acte douloureux, que, pour la plupart d’entre nous, nous n’avions jamais commis. Pour autant, nous ne regrettons pas.
Ce que nous défendons, nous le défendons pour tous.
Le texte lu ce soir là :
Bonjour, nous prenons la parole au nom du CIPCL, membre de la coordination nationale.
Depuis 2003 et la réforme d’alors qui n’était que le funeste signe à l’échelle des intermittents de la casse sociale que le présent accord auquel nous nous opposons promet d’étendre à l’ensemble des pratiques professionnelles quelles qu’elles soient,
Depuis 2003 où nous avons dû nous battre, connaître le désastre des grèves et des annulations de festival qui sont une vraie douleur dans un pays qui connaît sa chance d’avoir une si belle richesse culturelle et artistique,
Depuis 2003 où nous avons dû nous organiser pour nous défendre de la précarité et des ruptures de droits que l’attaque de notre régime d’assurance spécifique avait engendré dans nos vies quotidiennes
Depuis 2003 nous nous sommes mobilisés, nous avons pris soin d’étudier notre situation et sommes devenus les meilleurs experts de nos vies et de nos pratiques professionnelles [5], nous avons mis au point des propositions de réforme, justes et adaptées, générant des économies et diminuant la précarité [6]. Soutenus par l’ensembles des organisations professionnelles représentatives de nos métiers et par un nombre signifiant de parlementaires de tous bords au sein d’un comité de suivi [7].
Depuis le 22 mars 2014 nos propositions ont été ostentatoirement écartées d’un revers de la main par le medef et ses complices au sein d’un simulacre de négociation à l’UNEDIC
Depuis le 22 mars nous devons avaler les humiliations de communications à charge qui nous font passer pour des privilégiés et nous rendent faussement responsable, a l’appui de chiffres fallacieux, d’une part abracadabrante d’un déficit dont nous estimons qu’il est essentiellement dû à une mauvaise gestion du MEDEF.
Depuis le 22 mars, nous nous mobilisons contre un projet de réforme dont nous avons bien pris la mesure destructrice et précarisante pour l’ensemble de la société [8]. Dont nous dénonçons le projet idéologique qui détourne l’esprit mutualiste de la protection sociale au profit d’une flexibilité ultra libérale, ultra oppressante.
Depuis le 22 mars, nous avons multiplié les textes, les conférences, les ripostes à la désinformation courant dans la presse dominante, nous avons dénoncé les pratiques iniques et anti démocratiques des négociations, nous avons interpelé les élus, fait des consultations politiques, des manifestations, fait des occupations produit des expertises... Nous avons tout essayé.
Depuis le 3 juin, les équipes permanentes et intermittentes du festival du printemps des comédiens à Montpellier sont en grève [9] au péril de la continuité de leurs droits au chômage et de la pérennité de leur outil de travail
Depuis le 3 juin, partout en France, petit à petit, des équipes les rejoignent au point qu’aujourd’hui il n’y a pratiquement plus un seul événement culturel d’envergure qui a lieu.
Depuis 7 juin, et la mobilisation croissante le gouvernement a pris la mesure de la situation et a cherché à manœuvrer avec la nomination d’un médiateur fantoche
Depuis le 7 juin, la presse ne peut plus nier le désespoir violent qui nous touche et qui se transcrit dans la [10]. Il aura fallu cela pour que vous soyez au courant de nos revendications . Que vous commenciez un tant soit peu à être informés sur les justes causes de notre lutte.
Depuis le 7 juin, les discours dominants changent et partout on chante la louange de nos beaux métiers et de leur utilité. Mais on tente toujours de circonscrire nos revendications au périmètre de la culture [11] alors que nous défendons les droits sociaux pour tous. Pour vous ici, comme pour nous, comme pour tous les chômeurs, comme pour tous les précaires. Et nous voulons que ce soit entendu.
Depuis le 19 juin et le discours de Manuel Valls, premier Ministre, nous savons que le gouvernement fait le choix de s’allier au MEDEF et aux intérêts de l’économie libérale plutôt que de défendre le peuple et le modèle social exceptionnel et vertueux que nous avons hérité des luttes des générations qui nous ont précédées.
Depuis le 19 juin, nous savons que ce gouvernement, dans son irresponsabilité, fait le choix terrible de laisser derrière lui les ruines d’un paysage culturel que des vies entières ont construit au fil des siècles au point d’être envié du monde entier. Car les festivals n’auront pas lieu. Car des femmes et des hommes de passion ont choisi d’engager ces outils, ainsi que la sécurité de leur subsistance propre, pour mener un combat au nom de tous, au nom du respect et de la dignité de tous. Un combat qu’ils ne cesseront pas car ils connaissent le prix de ce qu’ils défendent.
Mesdames et messieurs, nous vous appelons à nous rejoindre dans cette lutte qui est maintenant une mise à mort assumée par le gouvernement.
Mesdames et messieurs, devant la gravité de la situation, votre spectacle de ce soir ne peut avoir lieu.
Collectif Intermittents Précaires Chômeurs de Lorraine
[1] Valls avait annoncé la veille à la télé vouloir agréer la convention anti-chômeur, Rien n’est réglé, tout commence.
[2] Savants, experts, journalistes, de nouveaux prêtres pour un nouveau troupeau ? Le cas de l’intermittence. .
[4] Ces gens là, les chômeurs, les précaires, tant que ça fait pas de vagues, c’est le dernier de leur souci, voir, par exemple Djamal Chaar s’immole par le feu devant Pôle emploi. Pour M. Sapin, futur ministre des finances, « les règles ont été appliquées avec l’humanité qui convient ».
[5] Un exemple parmi l’ensemble des travaux menés Dette objective et dette subjective, des droits sociaux à la dette - Enquête collective.
[7] Pour une réforme juste et équitable - Comité de suivi de la réforme de l’assurance chômage des intermittents.
[10] La grève, mais aussi des actions hors temps de travail, que l’on soit au chômage, entre deux contrats ou en grève, par exemple : Pôle emploi fermés, Besançon montre le chemin ?, Blocage du chantier de la Philharmonie de Paris et actions/occupations dans 14 villes