vendredi 12 avril 2013
Dernière modification : mardi 27 août 2019
« Aujourd’hui, c’est le grand jour pour moi car je vais me brûler à Pôle emploi. »
Djamal Chaar, Nantes, février 2013
Djamal Chaar est mort. Il s’est immolé par le feu mercredi 13 février 2013 face à un Pôle Emploi, à Nantes [1] Deux jours après, un autre chômeur tentait de se donner publiquement la mort à Saint-Ouen et un autre encore quelques jours plus tard dans un Pôle emploi de Bois-Colombes. Déjà, l’été précédent, un homme était mort après s’être immolé à la CAF de Mantes-la Jolie. À l’époque, la ministre des affaires sociales et de la santé, avait « fait part de sa profonde émotion face à cet acte désespéré d’une personne que les difficultés de la vie ont manifestement conduit à un geste tragique ». La ministre déléguée chargée de la lutte contre l’exclusion avait ajouté qu’« en première ligne face à ces difficultés sociales, le personnel de la CAF a rempli sa mission avec sérieux et compétence ». Au lendemain de la mort de Djamal Chaar, le président de la République évoquera avant tout le caractère « exemplaire » du « service public de l’emploi » [2].
Les réactions publiques, comme à chaque fois, qualifient le geste de « drame personnel », on exprime à peu de frais son émotion tout en cherchant à déresponsabiliser l’institution. Une cellule psychologique est créée pour les agents [3], le sale boulot de gestion de la précarité peut reprendre [4]. Et si quelques voix s’élèvent pour faire du mort une victime, ces discours participent d’un consensus qui recouvre la dimension politique de ce qui a eu lieu [5].
La veille de son immolation, Djamal Chaar écrit : « J’ai travaillé 720h et la loi, c’est 610h. Et Pôle emploi a refusé mon dossier » [6]. Le ministre du travail et du dialogue social répondra : « Les règles ont été appliquées avec l’humanité qui convient, avec les explications nécessaires, mais il y a parfois des moments où on est dans une telle situation, qu’on ne comprend plus les explications » [7].
L’humanité qui convient. Quiconque a affaire à Pôle emploi ou à la CAF sait ce dont il s’agit. C’est l’Etat qui remet à un agent le soin de décider des moyens de subsistance d’un autre humain. Ce sont des calculs comptables qui font oublier les vies derrière les chiffres. Ce sont des règles d’indemnisation opaques, arbitraires, rarement explicitées et qui excluent plus de la moitié des chômeurs de l’allocation. C’est le mépris et le soupçon avec lesquels on traite quiconque dépend d’une institution pour ses revenus. C’est transformer les droits sociaux en dettes individuelles et réduire par-là tout horizon [8], toute capacité à se projeter.
L’humanité qui convient, c’est nous culpabiliser de n’avoir pas d’emploi [9] dans cette société-là et nous forcer à jouer le jeu [10]. C’est une logique qui transpire partout. Elle s’impose aussi à nous dans l’entreprise où chacun est contraint à grand coups de management de s’impliquer personnellement, de se réaliser en tant que capital humain [11], de faire corps avec son travail aussi indésirable soit-il.
Djamal Chaar a décidé de ne pas faire le grand saut dans le noir en silence. Nous ne pouvons accepter comme un « accident de parcours » l’acte d’un homme qui a décidé de mourir en accusant. S’obliger à parler. Dire que l’institution tue. Dire qu’il ne s’agit pas de « drames personnels » [12]. Et si son geste nous renvoie à nous-mêmes, à nos solitudes et nos découragements, il renvoie aussi à la nécessité de s’attaquer à cette violence qui nous est faite [13]. Dans l’entraide et la solidarité, que nous éprouvons par bribes au présent et que nous essayons de construire jour après jour, nous voyons un des moyens pour reprendre, ensemble, prise sur nos vies.
Des collectifs de chômeurs et précaires réunis en coordination [14].
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• CAFCA Ariège
• CCPL, Lille
• Exploités-Énervés, Cévennes
• CAFards de Montreuil
• La C.R.I.S.E à Nancy, 69 rue de Mon Désert, Tel : 06 59 82 73 67.
Permanences : tous les jeudis après-midi de 15h à 19h.
A.G./réunions/auto formations : le mardi à 20h
• Permanence Précarité CIP-IDF, Paris
• CNT-UL Chelles & Marne-la-vallée, Permanence syndicale tous les mercredis de 18h à 20h, au 1 bis impasse Emilie, 77500 Chelles. Contact : ul.chelles.mlv [@]cnt-f.org. Tel : 06 5936 4102
• Réseau Stop Précarité
• Recours-radiations
Avril 2013.
Eté 2014 : Trente-huit mètres - L’Interluttant
Le titre est une reprise de Sapin, le surtitre et les notes qui suivent sont de la rédaction.
Quant il ne s’agit plus de politique contre économie, le capitalisme est toujours vainqueur, avec tous et sur tous. Vous êtes donc invités à entrer en contact avec les collectifs cités ci dessus, pour trouver un appui, gamberger, se défendre, agir, mais aussi en vue d’obtenir des coordonnées d’autres collectifs plus près de chez vous, car il en existe, même si il n’y en a pas assez, ou pour envisager d’en créer de nouveaux, car c’est nécessaire.
[1] Une émission de radio Les pieds sur terre, consacrée à Djamal Chaar.
[2] La gauche caviardeuse HEC CAC 40 nous crache à la gueule en réalisant l’austérité contre nous : voir par exemple RSA, fausse hausse, vraies coupures.
[3] On sait pourtant que c’est au quotidien, en raison du management et des objectifs et des modalités de ce travail, que la situation subie par les agents Pôle est intenable ; voir une analyse rédigée par une syndicaliste de SUD emploi : Pôle emploi, la violence et l’ennui.
[4] Pour faire face, ces recettes à compléter et renouveler Pôle emploi : déjouer les convocs pour « entretien téléphonique », les radiations, le suivi....
[5] La politique commence lorsque le partage du sensible est mis en question : Fabrique du sensible.
[6] Pôle emploi avait décidé de le sanctionner, le condamnant à des ressources réduites à presque rien. Sa « faute », pour l’administration, est de ne pas avoir déclaré une mission d’intérim en août, alors qu’il avait déclaré toutes les autres... Convention Unedic, le Medef veut supprimer le régime des intermittents et celui des intérimaires. Il avait travaillé tout le mois de décembre. Manutention de nuit dans une boîte de transports. Son erreur lui vaut une double peine, on ne peut plus normale pour la machine Pôle emploi « Répétition de l’indû », Unedic zone de non-droit. Malgré sa période travaillée, aucun droit à indemnisation. Deuxième sanction : il doit rembourser ce qui est considéré comme un « trop perçu ». Soit 600 malheureux euros. Pourtant comme tout salarié du privé, il a cotisé pour cela, Extrait de Djamal Chaab, une mort exemplaire, publié par le mensuel CQFD.
De fait, les dits « chômeurs en activité à temps réduit », ceux qui ont travaillé moins ou plus que 78h par mois sont environ 1 500 000 (voir Les chiffres du chômage : mode d’emploi). L’idée toute faite du chômeur « complet » ou du salarié « classique » fausse toute analyse concrète de la réalité de l’emploi : le chômage n’est pas l’envers du travail, mais l’un de ses moments, et des plus... décisifs.
[7] Il s’agit de Michel Sapin, devenu avec le gouvernement Valls rien de moins que ministre des Finances et des Comptes publics. Selon Wikipédia, i« étudiant au lycée Henri-IV. Michel Sapin milite au sein des Comités d’action lycéens, groupe (...) animé par le trotskyste Maurice Najman. Il entre à l’École normale supérieure en 1974, dans la section lettres et à l’I.E.P. de Paris en 1975, puis à l’ENA en 1978, promotion Voltaire (qui compte aussi François Hollande, Ségolène Royal, Dominique de Villepin, Renaud Donnedieu de Vabres, Henri de Castries, Jean-Pierre Jouyet, Pierre Mongin et Pierre-René Lemas). »
[8] Comme dans le cas de Djamal, chômeur en activité à temps réduit non indemnisé et à qui Pôle emploi réclamait un « indû », pour eux notre revenu est un indu, ils cherchent à disposer à la fois du présent de chacun et de son avenir ; sur le revenu comme dette,voir Dette objective et dette subjective, des droits sociaux à la dette, et sur les indus, vous pourrez constater que Pôle ne se sent pas tenus par les règles et les lois qui sont supposées régir son fonctionnement : « Répétition de l’indû », Unedic zone de non-droit, qu’il y a là matière à opposition, y compris sur le plan juridique, voir cet exemple de condamnation de Pôle emploi Jurisprudence, Pôle Emploi condamné pour insuffisance d’information. La mort de Djamal a contraint Pôle a rendre public des infos sur les « indus ». Ces massificateurs disent que c’est 300 millions d’euros par an, mais ils se gardent bien d’être plus concrets c’est-à dire de révéler combien de dizaines (centaines ?) de milliers de chômeurs sont touchés par de tels « drames personnels ».
[9] Déjà sous le PS, durant les années 80 des mouvements de chômeurs analysaient les fausses évidences de la politique du capital : L’idéologie est la première arme des exploiteurs.
[10] La téléréalité fait désormais office de modèle social, il s’agit que le meilleur gagne, it’s more fun to compete, ainsi Pôle emploi ne dit plus chômeurs, usagers ou clients mais « candidats », voir Outragé, Pôle emploi mord la poussière .
[11] Si il est question de refuser de se faire capital humain, autant le faire en connaissance de cause, voir l’article désormais classique, La personne devient une entreprise, note sur le travail de production de soi, André Gorz, et pour préciser ce qu’il en est en tant que chômeur/précaire, voir l’un des texte de la grève des chômeurs, Ni emploi forcé, ni culpabilisation, ni management, grève des chômeurs !.
[12] Sur et contre le travaillisme et le misérabilisme de la gauche : À gauche poubelle, précaires rebelles - Cargo, mai 1998.
[13] L’action collective est non seulement nécessaire mais possible, c’est dans le conflit que nous ferons quelque chose de notre hétérogéneité, plutôt que de la voir jouée contre nous : un exemple partiel mais éclairant : Montreuil : à Pôle Emploi comme ailleurs, ne pas se laisser faire, ou bien encore Ni A.N.I, ni Job Dating. L’austérité ne sera pas notre train-train quotidien !.
[14] Réunis en coordination les 23 et 24 février 2013, des collectifs de chômeuses/eurs et précaires ont souhaité exprimer par un texte collectif une position commune sur la mort de Djamal Chaar. Nous voulions évoquer le sens politique de ce geste, et donner la parole à cet homme. Ce texte ne dit pas tout ce que nous avons à dire sur ce sujet, mais nous en approuvons chaque mot.
Après bien des soucis avec une Ville de Paris qui s’était pourtant engagée à nous reloger, la coordination a dû déménager pour éviter une expulsion et le paiement d’une astreinte. Nous sommes actuellement hébergés par la commune libre d’Aligre.
Pour partager infos et expériences, ne pas se laisser faire, agir collectivement,
passez aux permanences, les lundis de 15 à 18h au Café de la Commune Libre d’Aligre, 3 rue d’Aligre, Paris 12ème, Tel : 01 40 34 59 74