jeudi 1er mars 2007
Dernière modification : mardi 5 mai 2015
Une « prime d’activité » destinée à certains travailleurs pauvres annoncée depuis 2013 devrait être instaurée à compter de janvier 2016. Avant d’en dire davantage des caractéristiques de la mesure et de la façon dont on entend par son entremise gouverner les conduites [1], un retour sur les politiques d’activation des dépenses passives, d’activation des chômeurs. C’était il y a 8 ans, durant l’avant dernière campagne présidentielle.
En ces temps de campagne électorale, de nombreux candidats déclarent vouloir « réhabiliter le travail » [2]. Nous affirmons pour notre part qu’il est urgent d’instaurer de nouveaux droits sociaux.
À emploi discontinu, revenu continu.
On s’étonne de la durée exceptionnelle du conflit sur l’indemnisation chômage des intermittents surgi lors de l’été 2003. Mais c’est depuis 1999, que, dans l’optique de son projet de « refondation sociale », le MEDEF, avec l’accord de certains syndicats dont la CFDT, détruit méthodiquement l’assurance-chômage. On ne le sait pas assez, Denis Kessler, ex No 2 du MEDEF, avait cru pouvoir déclarer cette « refondation sociale » réussie dès l’instauration en 2001 du P.A.R.E (Programme d’aide au retour à l’emploi) à l’Unedic [3] Ces organisations vantent le « plein-emploi », et placent ainsi au centre de la restructuration a-sociale en cours la situation faite aux chômeurs et aux salariés à l’emploi discontinu.
Cette « refondation sociale » vise à faire des dépenses de santé, éducation, culture, comme de l’épargne des salariés, de nouvelles sources de profit. Dans ce cadre, ce que l’OCDE et les gouvernants appellent « activer les dépenses passives », consiste à transformer le chômeur indemnisé en salarié précaire mal payé, assujetti aux employeurs, quitte à verser directement son allocation à ces derniers (voir le RMA).
L’assurance-chômage est visée car elle attribue un revenu aux chômeurs. Il s’agit pour eux de transformer ce revenu en capital. Sur ce modèle, l’assurance chômage se devrait de fonctionner non pas comme un système mutualiste axé sur les besoins collectifs mais selon un principe de « capitalisation des droits » destiné à individualiser les inégalités. Ces réformes visent à rendre le chômeur responsable de sa situation pour mieux développer la concurrence entre salariés.
La réforme de l’assurance-chômage des intermittents du spectacle est au cœur de cette politique. La précarisation des salariés impose de supprimer un régime qui concède des garanties collectives à des salariés à l’emploi discontinu. L’existence d’un tel régime menace en effet de fournir l’embryon d’une alternative à la « société des individus » qu’ils appellent de leur vœux.
Il est possible de résister, et, pourquoi pas ? à tout le moins, d’endiguer la barbarie concurrentielle. La lutte a imposé au gouvernement de créer une allocation accessible, l’AFT (allocation de fond transitoire). Sans elle, cette réforme de l’Unedic aurait exclu 40 000 salariés intermittents du droit à indemnisation. Ce protocole est structurellement inégalitaire du fait de fonctionner selon une « capitalisation des droits » radicalement opposée au principe mutualiste d’une redistribution vers les plus faibles revenus. Il met en place un système où les plus employés et les mieux payés sont également les mieux indemnisés. Cette réforme, dont l’urgence affichée était la réduction d’un déficit coûte en fait d’avantage. L’essentiel, on l’a compris, est de promouvoir le système assurantiel privé. On vise, à terme, à supprimer toute forme de solidarité interprofessionnelle
Et ce n’est pas tout !
Pour accélérer les radiations des chômeurs, toute une gamme de menaces et de contrôles est mise en place. On fabrique ainsi une nouvelle insécurité sociale faite de course aux cachets, d’acceptation de n’importe quel emploi sous peine de se voir supprimer une allocation.
C’est en prenant pour point de départ les pratiques d’emploi discontinu que la coordination des intermittents et précaires a élaboré et proposé un autre modèle d’indemnisation chômage [4]. Basé sur des principes mutualistes, il est applicable à l’ensemble des salariés employés de façon discontinue (CDD, intérims, vacataires). Il fonctionne sur la base des besoins concrets, chaque jour chômé y est indemnisé, tandis que chaque jour travaillé est non indemnisé. Il comporte un minimum d’indemnisation quotidienne équivalant au SMIC JOUR assorti d’un plafonnement de l’indemnisation pour les revenus confortables.
Cette proposition implique d’élargir les modalités d’un financement qui ne peut plus être exclusivement basé sur le volume horaire d’emploi dont dépend la cotisation sociale. Certes, il faut établir une autre taxation du capital. Mais il sera en outre nécessaire de déterminer une nouvelle assiette de prélèvement pour garantir des droits aux salariés. Il s’agit d’appréhender au plus près les formes actuelles de production de richesses. Taxer, par exemple, les flux de communication qui sont un des supports privilégiés de la production de richesse contemporaine. La logique de ce modèle rompt avec l’individualisme possessif comme avec la victimisation actuelle.
Elle implique la remise en cause radicale d’un paritarisme initié après la seconde GM [5]. Depuis 30 ans, cette forme institutionnelle a progressivement dérivé vers le mépris du commun. Ainsi, alors que partout l’on glose sur la « sécurisation des parcours », des centaines de milliers de travailleurs précaires cotisent à un régime d’assurance-chômage qui ne les indemnise pas, ou très mal, comme c’est le cas de la majorité des chômeurs,.
L’expérience de l’intermittence permet de le saisir, l’indemnisation du chômage ne relève pas simplement d’un financement par défaut du spectacle et de la culture, mais d’un point d’appui, utilisable pour construire un rapport de force susceptible de renverser la logique de concurrence qu’on nous impose. Penser la protection sociale comme un investissement collectif, n’est pas résumable à une question économique ou sociale, comme s’il s’agissait de domaines réservés. Nous disons simplement que la liberté nécessite des supports sociaux, qu’il s’agit de replacer la question de l’émancipation individuelle et collective au cœur de l’action politique.
Nous ne voulons ni pseudo lois de l’économie ni politique compassionnelle.
Nous sommes nombreux et en avons assez d’être plaints.
Février 2007
[1] « L’économie des « mérites » et des « démérites », la direction des conduites dans la vie quotidienne, l’assujettissement sont encore aujourd’hui le moteur des pratiques et des discours censés individualiser, contrôler, régler, ordonner les comportements des gouvernés dans le travail, dans la formation, dans le chômage, dans la santé, dans la consommation et communication, etc. », voir Techniques de pouvoir pastoral : le suivi individuel des chômeurs et des allocataires du RSA - Enquête collective
[2] Le discours d’investiture à la candidature à la présidence de la république de Nicolas Sarkozy, le 14 janvier 2007 était particulièrement éloquent : Abjecte sarkophagie travailliste : « Le travail, c’est la liberté, le plein emploi est possible »
[3] Trois approches critiques de la « refondation sociale » patronale : Le gouvernement par l’individualisation, Le Pare, une entreprise travailliste à la française, L’éthique du bouffon.