samedi 7 février 2004
Dernière modification : lundi 2 août 2004
À l’heure où le mouvement des chercheurs prend une ampleur insoupçonnée,
ses résonances font écho à un autre mouvement inédit et inventif, que
personne n’avait vu ou voulu voir venir et qui a aiguillonné le pays
pendant un an, celui des intermittents du spectacle.
Deux univers distincts, la rigueur des chercheurs et la créativité des
intermittents ? On pourrait le croire, à n’y trop regarder de près. Car,
en fait, bien évidemment, les similitudes ne manquent pas. Comme vous,
nous avons longtemps pensé que nos combats, quelle que soit la haute idée
que nous nous en faisions, ne bouleverseraient pas une société
complaisamment décrite comme apathique. Qu’ils n’effraieraient pas ce
gouvernement effrayant et anxiogène. Tout au plus, un signe discret
pouvait être envoyé, une main sur le coeur, un soutien de principe (comment
déclarer ouvertement que les artistes ou les chercheurs sont inutiles ?) ,
mais il ne fallait rien espérer de plus et nos actions prenaient souvent
la forme de barouds d’honneur auquel peut être nous même ne voulions pas
croire totalement, à force de ployer sous un mépris d’en haut autiste à
tout ce qui n’est pas sécuritaire ou productif.
Comme vous, le gouvernement nous demande de nous vendre au profit,
remplaçant la recherche créative fondamentale par l’application directe de
thématiques déjà financièrement éprouvées, remplaçant les créations
indépendantes par le rentable TF1.
Comme vous, le temps qui nous est nécessaire à produire notre travail est
long, et s’oppose frontalement, même si discrètement, à la furie du
libéralisme bien mal digéré de l’équipe au pouvoir. Ce temps long est en
soit une résistance. Votre liberté de création est la vigie de nos
libertés individuelles, notre liberté de recherche est un questionnement
permanent de l’éthique de nos sociétés.
Mais le vent tourne. Les citoyens de ce pays signent en masse la pétition
des chercheurs, ils comprennent bien que le discours gouvernemental,
réduit à un pathétique appel au renfort du privé, est inepte. Ce sont
certainement ces mêmes femmes et hommes qui n’ont cessé, l’an dernier de
ressentir comme une blessure l’agression qui vous a été faite, la
brutalité qui l’a accompagnée. Ce sont certainement les mêmes qui
ressentent confusément qu’on réduit progressivement ce pays à peau de
chagrin, au mépris de tout honneur démocratique, puisque les budgets votés
par nos représentants élus, sont gelés d’un trait de plume par des décrets
autoritaires. Vous et nous sommes le laboratoire d’essai sur lequel le
gouvernement se fait la main, en nous épuisant, en mentant éhontément sur
la réalité de nos vies et sur les conséquences de leur politique
prédatrice. Et s’il se cassait les dents sur les grains de sable que nous
sommes ? Et si nous étions ceux qui trouvions les mots et les modes
d’actions pour sortir notre pays de son supposé engourdissement ?
Évidemment, converger n’est pas simple. Il faudra trouver les mots pour se
parler, dégager des pistes communes, mais quel défi, quelle aventure si
nous y parvenons ! Nous avons dans les mains la possibilité d’un mouvement
totalement impensable il y a peu, les bases d’une mobilisation qui, par ce
qu’elle est surprenante, pourrait faire jaillir comme jamais les questions
fondamentales pour une société : pourquoi vivons nous ensemble ? Quels
sont nos projets collectifs ? qu’est ce qui fait que nous ne sommes pas
qu’une collection d’individus, voire de consommateurs, mais des femmes et
des hommes libres de repousser les limites de la fatalité économique à
laquelle on voudrait nous soumettre ?
Voilà pourquoi nous vous appelons a la convergence. La recherche, toute la
recherche, toute disciplines confondues, toutes structures confondues et
les intermittents. Non pour en exclure les autres mouvements sociaux, mais
pour prouver que si des univers aussi dissemblables que les nôtres sont
capables de s’entendre, alors tout est à espérer. Espérer convaincre que
nos métiers, rendus possibles dans des sociétés riches, en sont justement
un trésor, la garantie de liberté pour tous. Qu’ils fonctionnent sur une
économie particulière où celui qui donne ne s’appauvrit pas aux dépens de
celui qui reçoit, et qu’en cela, ils sont une entorse permanente à l’ordre
économique ambiant qui voudrait placer sous coupe réglée tous les pans de
la société. Que nous, si souvent petites mains mais si souvent taxées
d’élitisme, sommes la preuve qu’il n’y a pas de France d’en haut ou d’en
bas, mais seulement des esprits bien déterminés qu’on voudrait ranger dans
ces cases pour mieux nous caricaturer et mieux nous soumettre. Que nous
sommes à la disposition de la société pour l’aider à comprendre le monde
et s’y sentir bien, lui fournir des raisons d’espérer quand d’autres ne
cessent de lui faire peur. Qu’il est faux de dire que le changement nous
fait peur, que nous serions des archaïques indécrottables rétifs à toutes
les évolutions, mais qu’au contraire, c’est le changement pour le
changement qui est stupide et que tout l’intérêt est de savoir vers où
l’on veut nous emmener.
Rencontrons nous, venez dans nos labos, sur nos terrains, et accueillez
nous dans vos ateliers et vos salles, en un mot surprenons ceux qui nous
croient si prévisibles !
Car une fenêtre de tir s’ouvre. Les élections arrivent. Prenons au mot
les participants au concours de beauté qui s’annonce, unis, nous serons
plus fort pour casser le ronron lénifiant qui se prépare, la panoplie usée
jusqu’à la corde, des débats choisis en haut lieu, des polémiques pour
faire diversion, des positionnements attendus et des réponses toutes aussi
conventionnelles. L’enjeu, c’est de contrarier ces petits plannings et
contraindre ceux qui aspirent à nous représenter à se positionner par
rapport à ce que nous sommes et à ce que nous représentons. Que nous
sachions et fassions savoir qui parmi eux se donnent les moyens, chiffres
et mesures à l’appui, de protéger notre liberté qui a son prix, et qui
parmi eux, par opposition, prend la responsabilité de nous considérer
comme secondaires. Que les mots en l’air deviennent des engagements, des
contrats fermes entre eux et nous.
Que nous n’ayons que peu à attendre de ce gouvernement boutiquier et sans
colonne vertébrale, beaucoup des nôtres en sont convaincus, mais les
élections sont justement la possibilité de sortir de ce face à face
éreintant et de contraindre tous les candidats, par l’expression
populaire, à nous écouter.
A nous de placer la société face à ces choix, à nous de persuader de
l’impérieuse nécessité qu’il y a à nous comprendre, et à nous donner une
place digne, parce que cela conditionne la dignité de tous.
A nous aussi, de déjouer les caricatures que l’on trace de nous, de
prendre notre bâton et de faire entendre notre voix. Et vous,
intermittents qui nous avez tant impressionnés par vos capacités de lutte,
mais que l’on sent, peut-être a tort, résignés et las, regardez de notre
côté : les chercheurs citoyens arrivent.
Thomas Heams (IC), Olivier Delelis (IC), Vincent Feuillet (IC), et Yvan le Masson (IP) sont chercheurs en formation
IC : Institut Cochin
IP : Institut Pasteur
Thomas Heams
Doctorant
Institut Cochin
22 Rue Méchain
75014 Paris
Téléphone + 33 1 40 51 64 37
Télécopie + 33 1 40 51 64 30
Marion Dupuis
Département d’Immunologie (directeur J.-G. Guillet)
Institut Cochin U567
Bâtiment Hardy 1er étage
Hôpital Cochin
27 rue du Faubourg St Jacques
75014 PARIS, FRANCE
E-mail :dupuis cochin.inserm.fr
TEL : 33.1.40 51 65 13 ; FAX : 33.1.40 51 65 35