Juin 1937, le gouvernement Blum tombe, le patronat exulte. Revenue aux
affaires, la réaction se met à l’ouvrage. Les mêmes hommes qui
interneront les réfugiés espagnols républicains fuyant le franquisme et
qui voteront les pleins pouvoirs à Pétain entendent bien " sonner la fin
de la récréation « , comme le dira Seillière soixante-cinq ans plus tard. » La volonté d’en découdre avec le monde ouvrier - à travers sa
représentation syndicale - est illustrée par la concentration du tir sur
le thème des « 40 heures », note l’historien Pierre Laborie. S’ajoutent,
à la critique technique des effets néfastes de la loi, des reproches
culpabilisateurs sur la paresse, la facilité, les loisirs, la semaine
des deux dimanches, sans jamais mettre en cause les responsabilités
éventuelles du patronat et l’inadaptation des structures aux nouveaux
besoins de la production, c’est toucher au domaine ultra-sensible du
symbolique et de l’affectif. " Le 21 août 1938, le radical-socialiste
Edouard Daladier, nouveau président du Conseil, déclare : " Il faut
remettre la France au travail. " C’est mot pour mot la même formule dont
le Medef et l’UMP useront et abuseront en 2003 pour lancer leur train
de mesures en faveur du patronat. Le gouvernement actuel supprime un
jour férié et permet aux entreprises d’accroître les heures supplémentaires
imposées à la main d’œuvre, en compensation des « 35 heures ». Le
gouvernement de 1938 agit de même, avec une série de décrets-lois qui
reviennent sur la semaine de 40 heures et suppriment le samedi chômé (« la semaine des deux dimanches »). En préfiguration des vols groupés de
Sarkozy, on assortit la casse sociale d’une répression aggravée à
l’égard des étrangers. Le 14 avril 1938, le ministre de l’Intérieur, le
radical-socialiste Albert Sarrault, demande à ses préfets " une action
méthodique, énergique et prompte en vue de débarrasser notre pays des
éléments indésirables trop nombreux qui y circulent et y agissent au
mépris des lois et des règlements ou qui interviennent de façon
inadmissible dans des querelles ou des conflits politiques ou sociaux
qui ne regardent que nous. " Deux semaines plus tard tombe un décret
gouvernemental stipulant que " le nombre sans cesse croissant d’étrangers
résidant en France impose au gouvernement, investi du pouvoir
législatif dans un domaine nettement défini, d’édicter certaines mesures
que commande impérieusement le souci de la sécurité nationale, de
l’économie générale du pays et de la protection de l’ordre public. « L’expression » tolérance zéro " n’existait pas encore, mais on l’entend
qui macère. Hier comme aujourd’hui, on tape sur les immigrés pour faire
oublier à « nos » ouvriers les coups qu’eux-mêmes reçoivent.
Depuis 1938, production et productivité n’ont cessé de croître. Le 14
janvier 2003, sa baronnie Ernest-Antoine Seillière se plaignait
cependant auprès de son majordome : " Vous avez, Monsieur le Premier
ministre, sifflé ces derniers mois la fin de la récréation, mais vous
n’avez pas encore convaincu la France qu’elle devait se remettre au
travail. " Message reçu cinq sur cinq. Le ministre du Budget, Alain
Lambert, clame son désir de « restaurer la primauté du travail » et de « restituer aux Français les fruits de leurs efforts. » Pour corser
l’injonction, le registre militaire s’impose jusque dans les médias : "
Ce n’est qu’ainsi qu’ils seront mobilisés pour donner le meilleur
d’eux-mêmes à leur pays. " (La Montagne, 26/09/03). L’offensive
idéologique en cours n’a pas d’autre objet que d’éradiquer toute
tentative de renverser le rapport de force. Le rappel à l’ordre continu,
le ton magistral de la réprimande et la mise à l’index des chômeurs « en situation d’assistance » (Fillon) accompagnent cette mise au pas. Le
26 août dernier, le député UMP et marchand d’armes multimillionnaire
Serge Dassault s’indignait : " On ne peut pas tous travailler le même
nombre d’heures, gagner le même salaire, partir à la retraite au même
âge. Il faut laisser ceux qui réussissent s’enrichir, arrêter de croire
que le salut viendra en faisant payer les riches, car il n’y a pas assez
de riches et ceux qui restent vont partir, et surtout, il faut remettre
la France au travail " (Le Figaro, 26.08.2003). Vive les riches ! Eux,
au moins, savent quoi faire de leur temps libre. Alors que les pauvres,
eux, s’ennuient quand ils ne travaillent pas, comme le remarque avec une
lucidité confondante le chouchou penseur des médias, Nicolas Baverez : "
Le temps libre, c’est le versant catastrophe sociale. Car autant il est
apprécié pour aller dans le Lubéron, autant pour les couches les plus
modestes, le temps libre, c’est l’alcoolisme, le développement de la
violence, la délinquance, des faits malheureusement prouvés par des
études. " (20 minutes, 07/10/03) La droite tenait le même discours en
1938. Deux ans après, c’était Vichy.
Mathieu Bouchard
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En 1938 déjà on remettait « la France au travail »



En 1938 déjà on remettait « la France au travail »
CQFD n°7 (15 décembre)
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Dernière modification : lundi 5 janvier 2004
Raffarin est un plagiaire. Son injonction à " remettre la France au
travail " est calquée mot pour mot sur une formule de son prédecesseur
Edouard Daladier, lancée en 1938 contre les acquis du front populaire.
Aujourd’hui, le front popu est loin, mais la réaction sociale n’a pas
changé.