Le capital est une contradiction en procès : d’une part, il pousse à la réduction du temps de travail à un minimum, et d’autre part il pose le temps de travail comme la seule source et la seule mesure de la richesse.
Marx, Fondements de la critique de l’économie politique.
On présente fréquemment la politique de baisse des impôts du gouvernement italien dirigé par Mattéo Renzi comme une politique de « refus de l’austérité » [1] . En lisant cet article sur un décret-loi du gouvernement Renzi, le Jobs Act, qui vise à accroître la précarité de l’emploi, et sur la réforme de l’indemnisation chômage, on verra qu’il n’en est rien.
Notes sur le Jobs Act du gouvernement Renzi
Suite à la visite de Matteo Renzi en France, le 15 mars 2014, François Hollande a déclaré : « Dans les annonces qu’a pu faire M.Renzi et dans les choix que j’ai faits pour la France, notamment le pacte de responsabilité, il y a beaucoup de points communs. A la fois la reconnaissance que nous devons moderniser le marché du travail, mais aussi faire que les engagements en termes d’emploi puissent être respectés par l’ensemble des acteurs économiques. »
Le décret-loi Jobs Act du gouvernement Renzi définit le cadre juridique des contrats à durée déterminé, des stages et des prestations de travail occasionnelles - désormais le CDD sera LE contrat d’offre de travail - viable sous n’importe quelle forme ou statut d’entreprise.
Il s’agit là de l’attaque la plus violente contre les droits des travailleurs de ces dernières années. Aucun gouvernement qui se dit « de droite » n’avait osé espérer tant. En effet, aucune loi européenne du travail n’applique une libéralisation si ample et profonde du CDD. Il devient ainsi, de fait, la forme ordinaire de l’embauche, ceci en contradiction avec la Directive 99/70 de l’Union.
Le chantage et la menace seront désormais la norme institutionnelle qui règlera la vie des précaires, leurs conditions de travail, leur revenu.
L’autoritarisme et la répression caractérisent la mise en place de ce dispositif de contrôle qui vise à l’effacement de la protection sociale du travail, des droits et de la dignité des travailleurs.
Encore une fois un gouvernement - qui n’a pas été élu – et qui rassemble gauche et droite [2] a choisi d’éviter la discussion parlementaire - en faisant passer ce décret par une voie unilatérale, celle d’un vote de « confiance » au président du conseil et à ses ministres, ce qui permet une application immédiate du Jobs Act.
Comme ceux qui l’ont précédé, ce gouvernement est responsable de l’ appauvrissement des pauvres et de l’enrichissement des riches. Depuis que les économies des citoyens européens ont sauvé les banques de la crise avec 1600 milliards, le gouvernement italien, comme les autres gouvernements de l’Europe, oblige sa population la plus démunie à l’austérité en réduisant le welfare et les services publics de base. Chaque jour qui passe, la rigueur économique correspond à plus d’exploitation, à plus d’expropriation des ressources et des biens communs.
Ce massacre social et des droits du travail s’appelle « simplification » dans le langage du Jobs Act, décret-loi qui prétend « favoriser l’emploi, surtout celui des jeunes ».
Les mesures de Renzi pour sortir l’Italie de la crise sont de trois types :
1. Pour faire passer la pilule, Renzi promet de verser 80 euros aux contribuables les plus modestes, mais ces allègements d’impôts sont financés par un plan drastique de réduction des dépenses de l’État, se traduisant par des coupes dans les services publics.
Le slogan du gouvernement italien est : « 1000 € en plus chaque année pour ceux qui ont un revenu inférieur à 25.000 € grâce à une remise fiscale, en gros de 80 € par mois » . Pour tous/tes ? Bien sûr que non. Cette remise fiscale s’applique exclusivement au travail salarié et seulement s’il s’agit d’un CDI. Pas de CDI, pas de bonus. Les salariés intermittents, occasionnels, ou intérimaires n’auront que des miettes. Tous ceux qui n’ont pas un emploi salarié (chômeurs, stagiaires, auto-entrepreneurs, prestataires de service, etc) - c’est-à-dire la moitié de la force de travail en Italie - en sont exclus. Les syndicats ont applaudi, sauf la CGIL, dépassée - elle critique le Jobs Act mais trop tard, elle accuse un retard historique par rapport à la réalité du monde du travail, et en plus elle a soutenu pendant vingt ans toutes les réformes qui ont anticipé le Jobs Act.
Ainsi l’écart entre ceux qui ont un emploi (apparemment plus sûr et stable) et ceux qui ont un emploi précaire ou n’ont pas d’emploi se creuse encore plus.
2.
« Le CDD pendant trois ans, avec possibilité de renouvellement sans carence entre un contrat et le suivant – et ce, jusqu’à 20% des contrats de l’entreprise », cela veut dire qu’un employeur peut embaucher à la semaine, au mois, en multipliant ce type de contrat pendant trois ans : la période d’essai pendant laquelle on peut être renvoyé sans préavis, indemnité ou justification, s’allonge donc sur trois années. C’est pire qu’en Espagne où cette période ne peut durer que 6 mois au maximum. De fait, le travail salarié à temps indéterminé n’est plus la règle mais l’exception, en contraste avec la Directive CEE n. 99/77 qui encadre le CDD.
C’est une extension massive – en durée et en nombre de renouvellements – de l’acasualità (l’utilisation sans justification) des CDD (5 renouvellements contre 2, jusqu’à 36 mois consécutifs contre 12).
Le décret loi comporte également une réforme du recrutement des apprentis (pour les moins de 29 ans) qui vise à l’extension de l’apprentissage sans garde-fou : le gouvernement a supprimé l’obligation pour les entreprises de recruter au moins un tiers de leurs apprentis à la fin de leur période de formation, avant d’en sélectionner d’autres.
Le gouvernement Renzi propose aussi un fond de 1,7 milliards d’euros pour donner un emploi aux jeunes en 4 mois après la fin de leurs études. Mais quel genre de travail ? - Un travail de stagiaire avec une rémunération ridicule, ou une prestation de service gratuite.
On assiste ainsi à l’élargissement au niveau national du contrat exceptionnel qui avait été introduit à l’occasion de l’EXPO de Milan en juillet 2013, - une offre de travail comportant 700 contrats en CDD et l’embauche de... 18 500 bénévoles.
3.
La réforme des « amortisseurs » sociaux : les indemnisations chômage disparaissent au profit du N-aspi, une nouvelle variante du dispositif instauré par une loi de 2012 (dans le cadre de la loi n° 92/2012 relative à la réforme du marché du travail, adoptée le 27 juin 2012, les nouvelles dispositions prévoyaient la mise en place progressive d’un nouveau régime d’assurance chômage et l’intauration d’une allocation chômage unique - « aspi » pour « assicurazione sociale per l’impiego » - amenée à se substituer à l’allocation de chômage ordinaire et à l’allocation de chômage à prérequis restreints).
Contrairement à ce que prétend le gouvernement italien, il s’agit d’une aide sélective et non universelle pour les chômeurs.Tous ceux qui perdent leur emploi, y compris les 400 000 employés dits « atypiques » au chômage dit « technique » qui ont travaillé au moins trois mois dans les 12 derniers mois (et celui qui a travaillé moins et en aurait encore plus besoin, il fait quoi ?). L’aide N-aspi peut durer la moitié des mois travaillés pendant les dernières 4 années, et au maximum pour une durée de 2 ans ; pour les « atypiques », au maximum pendant 6 mois. C’est donc une logique perverse qui donne moins à ceux qui sont le plus précaires. L’aide correspond à 1100 - 1200 euros mensuels au début pour diminuer jusqu’à 700 euros.
En liant le droit à ce futur « chèque – soi-disant - universel » à une obligation de formation et à la possibilité de ne refuser qu’une fois une proposition d’emploi, le Jobs Act du maire de Florence s’inspire du Workfare britannique de 1997, qui encadrait sévèrement le bénéficiaire de l’aide sociale. La contrainte et le chantage au travail sont assurés.
Les estimations évaluent à 1,2 millions environ les bénéficiaires potentiels du N-aspi (le nombre des « atypiques » actuellement au chômage « technique »), loin des 9,3 millions de personnes vivant en-dessous du seuil de pauvreté relative.
Déjà avant la crise économico-financiaire de 2008, la croissance du taux d’emploi était liée à l’augmentation des contrats précaires qui désormais se sont substitués aux formes ordinaires d’emploi. Avec la récession actuelle, la situation se renverse : les travailleurs précaires sont les premiers à perdre leur emploi. Ce phénomène conduit un grand nombre de personnes, jeunes et moins jeunes, à vivre sans aucun revenu digne de ce nom, et ne peut que nourrir un système d’exploitation brute, de chantage et de travail non déclaré. Ce changement favorise aussi la crise des syndicats traditionnels qui ne représentent plus l’ensemble des catégories du travail salarié et les revendications des travailleurs. Dans les politiques européennes comme dans l’esprit des syndicats, la protection sociale est encore liée à l’emploi, ce qui ne fait que permettre le contrôle biopolitique de la force-travail [3].
A quand une loi qui imposera le travail volontaire et bénévole pour tous/tes ?
Commission Europe - Cip/ italiens
NB
Qui est Poletti ministre du travail du gouvernement Renzi ?
Giuliano Poletti est un pur produit de la gauche - il faut prendre en considération sa longue militance au Parti Communiste Italien (de 1982 à 89, il fut secrétaire de la fédération du PCI d’Imola) ; depuis 2002 il est président de la LegaCoop, coopérative plus importante et riche du pays qui est mêlée à des trafics d’influence et corruptions en tous genres à l’occasion des chantiers des grands travaux.
Articles en italien :
. La precarizzazione totale del Jobs Act : come reagire ?, Quaderni di San precario
. Jobs Act : Renzi, Poletti e il fantasma dello sceriffo di Nottingham – di Gianni Giovannelli, Quaderni di San precario.
. La televendita (pericolosa) di Renzi – di Andrea Fumagalli, Quaderni di San precario.
. Expo : lavoro gratis per 18.500 giovani, Il Manifesto.
. PRECARIETA’
Blocchiamo il JobsAct !, Dynamo Press.