Alors que le débat semble relancé sous le nouveau gouvernement Hollande, nous publions cette tribune écrite le 2 avril 2012 par SUD Culture Solidaires.
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A propos du Centre National de la Musique
(ou comment l’Etat abdique face aux intérêts de l’industrie musicale)
1. Après le C.R.A... Le C.N.M.
Le dispositif répressif dit Hadopi ayant totalement échoué dans ses objectifs, il fallait bien trouver un autre moyen pour redonner le moral aux trois majors qui monopolisent la « production » mercantile de la musique enregistrée ainsi qu’aux gros entrepreneurs de spectacles. A l’initiative de Nicolas Sarkozy, fidèle ami des Arts dès lors qu’ils rapportent de l’argent, une mission de sauvetage a donc été confiée au député UMP Franck Riester qui s’est déjà illustré comme rapporteur du projet de loi à l’origine d’Hadopi. Ce dernier s’est entouré d’une équipe de choc, comme Alain Chamfort, Daniel Colling, directeur du Zénith de Paris, Marc Thonon, président de la Société civile des producteurs de phonogrammes en France, ou Didier Selles, conseiller-maître à la Cour des Comptes. Le fruit de leur intenses cogitations a été remis à Frédéric Mitterrand le 30 septembre 2011 sous la forme d’un rapport intitulé « Création musicale et diversité à l’ère numérique » [1] .
Le constat est connu : pour les marchands de la filière musicale, il devient de plus en plus difficile de se remplir les poches. Les ventes de musiques enregistrées, qui ne représente plus que 10 % du chiffre d’affaires des industries culturelles et de loisirs, ont été divisée par deux entre 2002 et 2010. Puisque ni le développement des plateformes de téléchargement légal, ni la vente de la Carte Musique Jeunes n’ont permis d’engranger des recettes, une nouvelle piste a été avancée : subventionner la filière musicale au même niveau que d’autres secteurs de la création culturelle (cinéma, audiovisuel, livre) et réunir en une structure unique, sur le modèle du Centre national du Cinéma, les divers guichets d’aides et organismes de soutien comme le Centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV), le Fonds pour la création musicale (FCM), le Centre d’informations et de ressources pour les musiques actuelles (IRMA), le Bureau Export, Musiques françaises d’aujourd’hui (MFA), Francophonie Diffusion et l’Observatoire de la Cité de la musique. L’idée du Centre National de la Musique (CNM) est née [2]
Vite fait bien fait, début octobre, Sarkozy reçoit les majors de la filière musicale lors d’un repas, non pas au Fouquet’s mais a l’Elysée. Il leur annonce qu’il va mettre en place une mission de préfiguration du CNM avant la fin du mois. Avec quelques jours de retard (7 novembre), Frédéric Mitterrand confie officiellement cette mission de préfiguration à Didier Selles avec objectif de le faire sortir de terre ... avant les échéances électorales. Le 18 novembre, Sarkozy peut parader lors de son discours de clôture du Forum d’Avignon. Le 28 janvier 2012, Frédéric Mitterrand continue son passage en force à Cannes où il se trouve pour inaugurer la 46e édition du Marché International de la Musique (Midem). Il signe avec la « filière musicale » un accord-cadre créant le CNM. Le 9 mars, l’association de préfiguration est officiellement créée . Selon la méthode chère à Sarkozy, il s’agit avant tout, et pour de basses raisons électoralistes, de faire du tapage démagogique puisque le nouvel établissement public, s’il voit le jour, devrait au mieux entrer en fonction fin 2012.
Ce qu’en pense SUD Culture Solidaires
Sur le modèle du Centre national du Cinéma, le CMN est censé fédérer le secteur, favoriser la création et la diversité musicale, et améliorer l’accès de tous aux oeuvres musicales. Seuls les gogos pourront le croire... Une nouvelle fois, il s’agit bel et bien de réduire le champ des missions du
ministère de la Culture, de rogner son budget, avec un prélèvement dès 2012, d’un minimum de 15 millions d’euros. Alors que dans le même temps, Sarkozy a décidé de maintenir le gel de 6 % des financements du Ministère à la création, à l’éducation artistique et à la démocratisation culturelle.
Ce n’est certainement pas par hasard si un décret daté du 8 septembre a brutalement dissout, sans la moindre discussion préalable, le Conseil supérieur des musiques actuelles (CSMA). Créé en janvier 2006, et comprenant des représentants des collectivités territoriales, de l’Etat et des professionnels des musiques actuelles, il était chargé par le ministre de la Culture de faire des propositions et des recommandations dans le domaine des politiques en faveur des musiques actuelles [3] .
Le projet de CNM vise avant tout à favoriser les gros acteurs de la filière que sont les multinationales du disque. Ce qui frappe le plus lorsqu’on lit de près les déclarations d’intention qui préfigurent à la création du CNM, c’est tout ce qui se trouve entre les lignes. Partout en filigrane, il s’agit de privatiser toujours plus la culture.
Sur ce point, comme sur bien d’autres, il n’est pas inutile de rapprocher les notes d’intention du CNM des textes européens fondateurs de l’AGCS par exemple (Accords Généraux sur le Commerce et les Services). Car en effet, la soumission de l’état à l’industrie musicale, c’est avant tout (même si ce n’est dit nulle part, et sûrement pas de façon claire et revendiquée), un projet politique qui colle à l’idéologie ultra libérale européenne qui a gravé dans le marbre de ses traités constitutionnels, la fameuse règle de la concurrence libre et non faussée. Laquelle a déjà entrainé une remise en question très préoccupante par l’Etat français du statut et du financement des associations Loi 1901 (circulaire Fillon du 18 janvier 2010).
Le projet du CNM veut redéfinir le mode d’attribution par l’Etat des aides et subventions accordées à la musique. Ne nous y trompons pas : la création du CNM ne sera pas à terme un bénéfice pour la diversité musicale, le foisonnement de la production musicale en France. Jamais il ne favorisera une meilleure répartition des aides entre gros et petits. D’ores et déjà, au nom de la lutte contre les déficits publics, l’immense majorité des acteurs culturels de la filière des musiques actuelles [4] ont été fortement fragilisés par un ensemble de mesures destructrices comme le passage du taux réduit de TVA de 5,5% à 7%, la suppression du taux super réduit à 2,1% sur la billetterie des 140 premières représentations, le plafonnement à 23 millions d’euros du produit de la taxe sur la billetterie,...
Il n’est question ici que de production, d’investissement, de rentabilité, de commerce, pas de création, de prise de risque artistique ou d’innovation. En lisant la trentaine de pages qui fixe les objectifs du CNM, que trouve-ton sur la musique contemporaine et ou expérimentale par exemple ? En tout et pour tout une ligne et demi ! Autant dire rien. Rien d’étonnant. Comme le déclare Daniel Colling [5] dans une interview croisée avec Patrice Caratini (contrebassiste de jazz) et Fabien Barontini (Festival Sons d’Hivers), le CNM devrait permettre à la musique de capter une part du gâteau des subventions qui étaient jusque là allouées par le Ministère de la Culture uniquement au théâtre via le réseau des 70 Scènes Nationales disséminées dans l’hexagone.
La véritable question est donc de savoir à qui et à quoi serviront ces aides. Et là, il n’y a guère de doute à avoir sur les intentions mercantiles de l’opération. La méthode employée suffit à éveiller les soupçons des plus sceptiques. Elle nous rappelle fortement celle qui avait été utilisée lors de la création de feu le Conseil de la Création Artistique, véritable usine à gaz dont le but était de se substituer au Ministère de la Culture, sans discussion ni négociation préalable, vocables constamment ignorés par Sarkozy durant son quinquennat !. Pas plus que les acteurs du spectacle vivant, les musiciens, pourtant les principaux intéressés, n’ont été consultés.
La riposte s’organise
Nous avons très bien compris que le CNM est un ballon d’essai. Nul doute que tôt ou tard (et plutôt tôt que tard) le même traitement sera appliqué au théâtre ainsi qu’à toute la culture.
Alors que le gouvernement, après son passage en force, tente de faire croire que la filière musique, dans toutes ses composantes, approuve cette initiative, musiciens, public(s), organisateurs, journalistes, responsables culturels etc...) se mobilisent contre la création de ce CNM.
Dès le le 25 janvier 2012, l’AFIJMA (Association des festivals innovants en jazz et musiques actuelles), la FAMDT (Fédération des associations de musiques et danses traditionnelles), FRANCE FESTIVALS (Fédération des festivals internationaux de musique), FUTURS COMPOSÉS (Réseau national de la création musicale), GRANDS FORMATS (Fédération d’orchestres de jazz et de musiques à improviser) et ZONE FRANCHE (Réseau des musiques du monde refusent de signer le protocole. Ces six réseaux sont vite rejoints par l’AFO (Association française des orchestres), la CPDO (Chambre professionnelle des directions d’opéra), le PROFEDIM (Syndicat professionnel des producteurs, festivals, ensembles, diffuseurs indépendants de musique), le REMA (Comité français du Réseau européen de musique ancienne), le SNSP (Syndicat national des scènes publiques), le SYNDEAC (Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles) et le SYNOLYR (Syndicat national des orchestres et des théâtres lyriques). Pour leur part, la Fédération CGT du spectacle et ses syndicats – Sfa, Snam et Synptac Cgt – ont demandé de surseoir à la signature du protocole [6] .
Parallèlement, plus de 3000 musiciens provenant de tous les horizons, ont signé une pétition « Non au CNM » et à la marchandisation de la musique [7] .
De notre faculté de résistance au projet du CNM, comme à tout autre projet visant à détruire la culture, dépend l’avenir de celle-ci dans notre pays.
Sud Culture Solidaires le 2 avril 2012.