On nous dit « le changement c’est maintenant », mais comment les choses se passent-elles pour les précaires dans les villes, les régions, les conseils généraux où la gauche [1] gouverne déjà [2] ?
Voilà une petite histoire à propos de quelques gros problèmes, des histoires de pauvres, de précaires, auxquels la gauche a partie liée et qui n’ont pas fini de nous atteindre....
Nous nous sommes invités à quelques uns le 1er février dernier lors de la présentation en Mairie du 11e arrondissement de Paris du « Programme départemental pour l’insertion et pour l’emploi » (PDIE) 2011-2014 [3] devant 200 chargés d’insertion et autres travailleurs sociaux, dont des agents Pôle emploi, chargés de suivre les RSAstes [4].
Nous avons interrompu cette séance de management power point en y prenant la parole et en distribuant le tract qui suit à toutes les personnes présentes.
Les responsables parisiens chargés d’animer cette séance n’ont guère apprécié qu’elle soit ainsi troublée. Nous évoquions ce que l’on veut ignorer, ce que l’on doit le taire, l’arbitraire, la pingrerie, l’aspect kafkaïen du suivi « social » [5] pour inviter qui y travaille à ne pas admettre les fausses évidences de la politique d’insertion et à se solidariser avec les demandeurs de revenu parce que nous refusons de nous considérer comme en dette vis-à-vis de la société [6]
Certaines réalités sont destinées à être cachées. Elles sont aussi euphémisées à l’extrême. Mêmes les mots « suspension du RSA », qui désignent aussi pudiquement qu’on puisse le faire une brutale coupure d’un revenu pourtant minimal, n’auront pas été prononcés une seule fois par nos gestionnaires.
Aucune donnée sur ces « suspensions » ne sera rendu disponible ; on affirme vaguement que Paris est l’un des départements qui les pratique le moins... Ce serait sans doute obscène pour la Ville et le département socialistes d’exhiber leurs performances en matière d’éviction des demandeurs de revenu. Ces mécanismes d’éviction et les restrictions imposées aux allocataires sont d’ailleurs souvent totalement invisibles. Par exemple, lorsqu’une chargée de suivi RSA affirme de façon péremptoire qu’il « est interdit de reprendre des études lorsque l’on est au RSA ». De fait la loi donne au département la prérogative d’en décider par dérogation. Mais empêcher par avance que la question soit posée permet à la fois d’éviter de telles exceptions (dont on trouve des exemples dans divers départements) et de ne pas mettre le département devant ses responsabilités, de ne rendre publique ni une telle possibilité, ni une interdiction de fait de ces reprises d’études.
La dissimulation et le silence accompagnent les méfaits de technocrates aussi policés et philanthropiques pour la montre que cyniques en réalité. Les institutions du contrôle social cultivent la com’ tout en entretenant leur opacité défensive.
Cette présentation était donc centrée quasi exclusivement sur l’« aide à l’accès à l’emploi », l’« immersion rapide au sein des entreprises » et encore... l’emploi... Le gloubi goulba technocratique, « plate forme », « synergie » des services de la CAF et de Pôle emploi, « gouvernementalité des dispositifs et des acteurs » menaçait d’endormir les présents lorsque nous l’avons interrompu, ce dont nombre d’entre eux parurent satisfaits, le manifestants plus ou moins discrètement. Mais cette irruption inopinée d’une autre parole, sous de superbes plafonds où la Commune de Paris connut ses deniers moments, défaite par ces Versaillais qui aujourd’hui encore gouvernent la Ville, n’a fait l’objet d’aucune réponse des intervenants officiels.
Ces chargés de mission promus, fallôts ronds de cuir du commandement du social ont d’abord fait mine d’être choqués puis ont choisi d’ignorer totalement ce qui avait été dit là par d’autres qu’eux et de n’y répondre point. Le mépris de toute opposition manifesté par ceux qui sont convaincus d’incarner la rationalité, la terreur gestionnaire au quotidien, telle est la politique de ces apôtres et laquais de la concurrence.
Nous allons avoir à prendre soin de ces institutions. Et pour commencer, leur apprendre à ne pas nuire.
Quelques éléments à cette fin.
• D’une part, pour situer les choses, ce sont les socialistes qui en 1988, ont décidé d’interdire l’accès du RMI aux moins de 25 ans, « pour préserver leur dignité en leur évitant de dépendre de l’assistance », selon Martine Aubry. Cette éviction a fortement contribué au dressage à la précarité de générations successives d’entrants dans le salariat. C’est à ce moment qu’ils ont également introduit la « préférence nationale » en matière de droits sociaux. Ils comptaient réserver l’accès au RMI des étrangers aux titulaires de la carte de séjour de 10 ans ; il aura fallu une mobilisation pour qu’ils infléchissent leur position en ouvrant droit au RMI aux étrangers ayant effectué 3 ans de séjour régulier au titre du travail [7]. Les socialistes nous doivent des comptes. Sans intervention collective des premiers concernés ils continueront à penser CAC 40 et LVMH, à seriner emploi et croissance, sans plus se soucier réellement du populaire.
• D’autre part, plus prosaïquement, comme dans chaque ville, il existe à Paris un centre d’action sociale (C.A.S) censé répondre aux besoins des habitants mais, opacité défensive oblige, la Ville se garde bien de faire connaître les diverses prestations de ce C.A.S. Il y a pourtant de quoi bricoler en utilisant leurs ingrédients. Par exemple, l’« allocation exceptionnelle » est une « aide en espèces ponctuelle accordée aux personnes devant faire face à des difficultés financières temporaires » accessible à tous les Parisiens. En cumulant plusieurs attributions, elle peut atteindre, pour un « isolé » un montant annuel de 3 287€. Ce plafond d’attribution étant rarement atteint, on peut tout de même obtenir par ce biais un 13e voire un 15e mois de RSA sur l’année [8]. À nous d’en faire usage. Là comme ailleurs, pas de justice, pas de paix.
• Enfin, face aux institutions sociales, à leur logique et à leurs pratiques, il est possible de se défendre, non seulement par l’action collective [9] mais aussi en adoptant et en incitant à adopter la posture défensive la plus déterminée possible, sans hésiter à se servir de tout ce que l’on pourra trouver dans les textes légaux et réglementaires pour s’opposer aux décisions souvent gravissimes prises contre nous [10]. Actuellement, au regard du nombre de décisions contestables ou/et illégales prises par ces institutions, il y a fort peu de recours [11], fort peu de procèdures lancées par les premiers concernés, or on peut gagner sur ce terrain, au guichet et en justice [12].