ARGUMENTS CONTRADICTOIRES SUR LE PROTOCOLE DU 26 JUIN
DESTRUCTEUR
Parce que le subventionnement indirect de la Culture par un organisme paritaire (l’UNEDIC) fut en son temps un véritable choix de l’État et des professionnels, un choix concerté, réfléchi et démocratique. Il permettait de valoriser le travail du spectacle dans sa spécificité) mais aussi offrait à la vie culturelle française un mode
inédit et flexible) indispensable au projet de la décentralisation.
Ce ne sont pas les marges, les plus jeunes ou les plus faibles qui seront seule touchées, mais le centre même de la vie des plateaux.
Dans une projection sur 3 ans, seulement 3 ou 4 des comédiens du Soulier de satin (mise en scène Olivier PY) pourront encore se considérer comme professionnels du spectacle.
Les abus
Il convient tout d’abord de remarquer que nous sommes le seul secteur à qui l’on demande de trouver des solutions pour combattre les fraudes. Des centaines de millions d’euros échappent au fisc tous les ans, on ne réclame pas aux secteurs les plus « tricheurs » de régler le problème, mais bien aux inspecteurs des impôts.
C’est aux Inspecteurs du Travail (dont l’État a réduit le nombre) de corriger les abus du système, non à la profession d’en porter la responsabilité.
Au moment où Mr Aillagon communique sur le thème « Nous allons mettre en place un programme de lutte contre les faux intermittents », 81 députés UMP (dont Alain Madelin, Jean-Pierre Soisson et Christine Boutin) proposent de mutiler l’inspection du travail en la requalifiant « hygiène et sécurité », en la privant de son indépendance (mise en place d’un conseil national de discipline), en menaçant les agents de contrôle (sanctionnés si leur décision a causé « un préjudice à l’entreprise ») et en leur imposant de « garantir le bon fonctionnement de l’entreprise ».
Cette proposition de loi date du 13 juin 2003.
Enfin, comment Mr Aillagon peut-il prétendre combattre les abus dans l’audiovisuel public alors que les crédits sont en diminution ?
Le nouvel accord va même jusqu’à favoriser les intermittents qui ont des périodes de travail très régulières (définition du permanent). Il a été conçu très judicieusement pour ne pas atteindre les grosses sociétés de production qui adapteront très facilement leurs calculs.
Seuls ceux à qui ce régime est réellement destiné, seuls ceux qui ne pourront pas tricher en seront exclus.
C’est pourtant au Ministère de la Culture de réaffirmer la destination première et fondamentale de ce régime et d’en rappeler la nécessité vitale pour sa propre politique
Les artistes et techniciens ne sont pas des assistés. Ils n’ont aucune sécurité de l’emploi et vivent d’un travail qu’ils ont choisi, comme d’autres secteurs économiques subventionnés.
Le déficit
Le 24 juillet 2000, Laurent Fabius (Ministre de l’économie, des finances et de l’industrie) et Martine Aubry (ministre de l’emploi et de la solidarité) écrivait une lettre à propos de la situation comptable de l’UNEDIC :
"Nous prévoyons 75 milliards de francs d’excédents cumulés d’ici 2003.
71 milliards seront consacrés à la baisse des cotisations, 4 milliards à l’amélioration de la couverture de l’assurance chômage" !!!
Le MEDEF et certains partenaires sociaux ont décidé de baisser les cotisations patronales et salariales. Tout comme la Sécurité Sociale, ce ne sont pas les augmentations des dépenses mais bien les fortes diminutions voulues et programmées des recettes qui ont créé le déficit de l’UNEDIC. La bonne vieille formule libérale est appliquée à la lettre : « Pour réformer un service publique, il faut commencer par l’endetter ».
En résonnant de manière purement comptable, le discours du MEDEF et de la CFDT quant à la nécessité de cette réforme tient du mensonge.
Tout d’abord, il est bon de rappeler que le régime d’assurance chômage comporte des ANNEXES à son règlement. Elles contiennent des protocoles régissant la situation de catégories particulières de salariés. Il en existe 13 (dont celles des journalistes, des marins pêcheurs, etc..) et sont toutes déficitaires. Celles des intermittents sont les annexes 8 (techniciens) et 10 (artistes).
Mais l’UNEDIC n’a qu’une seule caisse. Le régime d’assurance chômage est basé sur un principe de solidarité interprofessionnelle.
Il est donc très pervers de parler du déficit d’un secteur particulier.
Mais puisque l’argument est tenace, il faut rétablir la vérité.
Le coût annuel du déficit annoncé (828 millions d’euros en 2002, en baisse en 2003 : 730 millions) est à peu près ce que le gouvernement a généreusement offert aux plus riches de notre pays en supprimant l’Impôt de Solidarité sur la Fortune. Et c’est 4 à 5 fois moins que ce que coûtera tous les ans la baisse de la TVA sur la restauration constituant une subvention annuelle de 3 milliards d’euros à ce secteur.
Les annexes 4 (celles des intérimaires) par exemple sont beaucoup plus déficitaires que les 8 et 10. Si l’argument comptable était juste, la réforme toucherait en priorité le secteur qui coûte le plus cher. Mais le MEDEF ne veut surtout pas toucher à ce statut qui permet aux employeurs de déclarer des salariés pendant des périodes très courtes dans la plus grande précarité.
De plus, le montant du déficit a été calculé sur des bases fallacieuses.
Il ne tient pas compte de :
Toutes les cotisations versées par les intermittents non indemnisés (ceux qui ne font pas 507 heures, les « stars » à cause de la franchise)
Toutes les cotisations des intermittents liées à des emplois occupés hors du champ strict du spectacle (régime général, enseignement, etc..)
Toutes les cotisations versées par les permanents (directeur, administrateur, standardiste d’un théâtre, etc..)
De plus, les richesses générées par nos activités ne sont pas prises en compte (Avignon et tous les festivals annulés en ont été une preuve irréfutable), notre caisse de retraite et assurance maladie sont excédentaires. En effet les retraites des intermittents sont ridicules et les congés maladie quasiment inexistants.
Une approche objective des chiffres édités par l’UNEDIC permet de porter un autre regard sur le poids financier des annexes 8 et 10.
En 2002, la proportion d’intermittents dans la population des demandeurs d’emploi indemnisés est de : 102600 / 2,1 millions = 4,9 %.
La part des intermittents dans les allocations versées aux demandeurs d’emploi est de :
952 millions / 26,3 milliards = 3,6 %.
En résumé, une population de 4,9 % de chômeurs indemnisés reçoit 3,6 % de ces mêmes indemnités.
Le bilan comptable est donc loin d’être catastrophique.
Des propositions pour régler le problème du déficit (dont les accords FESAC 2000) ont toujours été refusées par le MEDEF alors qu’elles avaient été signées par une majorité de syndicat (dont la CFDT). Il était notamment prévu le plafonnement du cumul salaires indemnités.
Le MEDEF n’en a pas voulu parce que cet accord sauvait réellement le principe de l’intermittence tout en limitant les abus.
Notre statut était un symbole. Les intermittents sont donc des fusillés pour l’exemple afin de décourager tout autre régime spécifique de se mettre en place.
ILLÉGAL
Mr Aillagon déclarait en octobre 2002 à propos du doublement des cotisations dans notre secteur (les signataires étaient les mêmes que ceux du 26 juin 2003) :
"J’observe d’ailleurs, et vous le savez, que s’il y a eu accord, il a été pris par des partenaires qui ne sont pas représentatifs du secteur.
En droit, l’accord est fondé, il ne peut pas être contesté. Compte tenu de ce que sont les règles de gestion de l’UNEDIC, il est valable. Mais néanmoins, c’est troublant de constater que le MEDEF n’est que faiblement représentatif des employeurs du secteur, la FESAC comme branche professionnelle spécifique l’est infiniment plus et que d’autre part, quelle que soit la qualité de ces organisations, la CFDT, la CFTC, la CGC ne sont pas représentatives non plus des employés du secteur. Une organisation comme la CGT Spectacle par exemple bénéficie de beaucoup plus de représentativité."
Nous partageons évidemment cet avis. Mais nous constatons que le discours du ministère a radicalement changé en 8 mois.
Non seulement comme le disait Mr Aillagon les syndicats majoritaires du secteur (CGT et FO) n’ont pas signé le protocole du 26 juin mais, parmi les signataires, les fédérations spectacle de la CFTC et de la CGC étaient opposées à la signature de leur confédération. Seule la CFDT spectacle (FTILAC) est en accord avec sa confédération. Pourquoi ? Leur signataire Michel Jalmain est président de l’UNEDIC !
Mais ce qui est le plus édifiant, c’est que moins de 10 % des intermittents sont syndiqués. Il est aberrant et totalement injuste que l’immense majorité des personnes concernées ne soient ni entendues, ni représentées dans ce type de négociations.
Les coordinations sont nées de ce constat.
Ensuite, il serait surprenant que le Conseil d’État ratifie un accord qui n’est pas démocratique.
En effet, c’est, à peu de chose près, le montant du salaire et non pas le nombre d’heures effectué qui décidera de l’exclusion du régime. Nous avons des simulations où 2 personnes travaillent pendant 30 mois ensemble aux même dates et pour le même salaire.
Ce qui les sépare ? L’un a gagné le double de l’autre l’année d’avant.
Le plus riche des deux aura droit à 486 jours d’indemnités et l’autre 0.
Mais surtout, un paragraphe entier de l’accord a été corrigé illégalement après signature, sans repasser par la négociation, alors que l’accord stipule que toute modification rend l’ensemble caduc. Deux documents différents portant le même numéro d’enregistrement sont la preuve formelle de cette irrégularité.
Nous avons confiance en la Justice qui étudiera le recours pour faux et usage de faux.
INEFFICACE
Mais. le plus grave est que cet accord ne sera pas même efficace, dévoilant ainsi qu’il n’est qu’une mesure politique. Le déficit qui disparaîtrait des annexes 8 et 10 se retrouverait dans le régime général ou au RMI ou encore dans d’autres secteurs. On ne licencie pas des milliers de personnes sans conséquences. Des experts qui ont travaillé sur cet accord nous l’ont confirmé.
L’objectif est très clair : constat d’échec (le protocole ne résout rien) et suppression du régime spécifique.
Les coordinations d’intermittents ont fait des propositions économiquement viables, pour réduire ce déficit. Aujourd’hui, il nous semble que nous défendons les budgets de la Culture contre le ministre lui-même qui a vendu cet outil essentiel de la décentralisation aux intérêts du Médef.
Dans cette lutte, nous incarnons bien plus la responsabilité de l’État dans la vie de l’art et de la pensée que l’État lui-même qui défend paradoxalement des intérêts privés.
Il suffit pour cela de rappeler le programme culturel de l’UMP :
« On peut légitimement se demander s’il appartient bien à l’Etat d’être le principal ordonnateur et juge de la création. Il faut désormais franchir une nouvelle étape et faire franchement entrer la culture dans le mouvement général de la décentralisation. La réforme de la politique culturelle passe par une présence moins écrasante de l’état. L’UMP déplore l’absence d’une vraie culture de la libéralité. un tel objectif de long haleine passe d’abord par l’encouragement du mécénat et la gestion par des sociétés commerciales de certains services culturels des collectivités publiques. L’Etat devrait conserver un certain nombre de missions essentielles, mieux exercer sa tutelle sur les grandes institutions nationales qui incarnent l’excellence française. Pour le reste, l’Etat doit transférer ses crédits de subvention déconcentrés aux collectivités locales. En ce qui concerne l’aide à la création, il faut arriver à une situation où l’état n’est qu’un commanditaire comme les autres, au même titre que les collectivités publiques, les entreprises ou les individus. »
Le mouvement des intermittents n’est pas une revendication corporatiste. Tout comme l’éducation, la recherche, la santé (la liste est longue), la culture subit de plein fouet le désengagement de l’état et la violence de sa politique. Ce n’est pas un mouvement désespéré, ni une révolte des marges, ni la demande d’une charité sociale, il est simplement la défense du service public et de l’exception culturelle française.
Samuel Churin