Une contribution au débat suit cette invitation.
Invitation à tous les collectifs prenant part, ou désireux de prendre part, à la « grève des chômeurs et précaires », à une coordination nationale à Montreuil le 12 juin prochain
Le 21 Avril dernier, une dizaine de précaires non autorisés lançaient en direct sur le plateau de Guillaume Durand un appel à la grève des chômeurs et précaires à partir du 3 Mai. Cette intervention visait à relayer la volonté de quelques collectifs parisiens et bretons de reprendre l’offensive après la rapide retombée de la mobilisation de décembre dernier autour des « marches de chômeurs ». Cet appel, tout sidérant et « décalé » qu’il ait paru à beaucoup de prime abord, a bel et bien été suivi d’un certain nombre d’effets.
On citera, pêle-mêle, une multitude d’irruptions-occupations dans les Pôles Emploi, depuis la simple agence jusqu’aux directions départementales, régionales etnationale, en passant par les plate-forme téléphoniques ; des interventions dans les CAF, les boîtes de coaching, des tentatives d’autoréduction ; une présence visible dans la rue (« piquets de grève », manifestation, assemblées sur la place publique...). Des dizaines de dossiers ont été réglés collectivement pour des problème de radiation, de trop perçu, de non paiement des allocations dues... À Rennes, ce mouvement a même été officiellement « reconnu » comme « motif valable d’absence à convocation » par la direction régionale de Pôle Emploi. Les interventions policières fréquentes, le recours à la fermeture systématique et aux vigiles par les directions ont été dénoncés publiquement par les principaux syndicats de Pôle Emploi.
Si les trois premières semaines de mai ont été les plus actives pour les collectifs à l’origine de l’appel, le ralentissement qui s’est ensuivi n’a pas empêché d’autres collectifs, en formation ou en reconstitution, de relayer cette initiative. En effet, outre les principales villes bretonnes ainsi que des collectifs à Paris, Montreuil, Nantes, Caen, nous avons depuis été rejoints dans la lutte par des collectifs à Nancy, Lyon, Bruxelles, Auch, Antony, Grenoble, Bordeaux, ...
L’appel, initialement lancé sans le moindre soutien des partis politiques, des syndicats et des directions des organisations de chômeurs officielles, suscite aujourd’hui un intérêt et une sympathie croissante parmi différents courants de la gauche radicale. A cela, un certain nombre de raisons : il est difficile de nier dans le contexte actuel la pertinence d’une intervention politique à l’endroit du chômage et de la précarité. Le chômage, depuis 2008, n’a cessé d’augmenter, et rien ne laisse entrevoir de renversement de tendance. Les effets des crises bancaires et de la récession en Europe, comme des politiques de rigueur ne manqueront pas de se faire sentir. La crise traversée par Pôle Emploi, principal dispositif étatique chargé de gérer cette situation, éclate aux yeux de tous : fusion ANPE-Unedic précipitée imposée aux salariés, fréquentes grèves « exutoires » à un climat exécrable du fait du sous-effectif, des cadences et de la déshumanisation du travail, climat qui se traduit quotidiennement par la fréquence des conflits avec la direction comme avec les chômeurs, par des arrêts maladie, et parfois, par des suicides.
Dans un tel contexte de délitement, les bricolages du gouvernement pour paraître tenir compte de la situation des « fins de droit », l’abandon de fait, mais inassumé du suivi mensuel obligatoire, ou encore le recours massif au placement privé, montrent bien qu’aucun espace de dialogue n’est possible avec le pouvoir actuel, que n’existe aucune forme de prise en compte réelle de la situation des chômeurs, sans parler de leur parole publique, qui n’a simplement pas lieu d’être. Ainsi les fissures de l’édifice multiplient elles les prises pour une offensive en capacité d’affaiblir et d’infléchir ces institutions (permettant de poser les jalons vers un accompagnement volontaire et à la demande des chômeurs, vers un revenu inconditionnel...) sans que le gouvernement ne dispose des moyens de formuler une réponse (autre que répressive) susceptible d’apaiser la colère qu’il suscite.
Il revient à la « grève des chômeurs » d’insister sur le fait de l’absence d’une quelconque perspective pour des millions de précaires, et de voir dans une telle absence une crise du modèle salarial, une inadéquation explosive entre l’état du marché du travail et les formes de la coopération que prennent les aspirations à l’émancipation collective. Ce fait est habituellement dénié sous la forme des habituelles neutralisations statistiques, des discours individualisants, tantôt culpabilisateurs, tantôt faussement bienveillants, sur la « démotivation » des précaires à « remobiliser ». La grève des chômeurs est bien un mouvement de refus d’une situation où chaque précaire se voit condamné à lutter pour des miettes d’emplois précaires et dégradés, condamné tant par la « nécessité » économique que par des pouvoirs publics de plus en plus avares en allocations de survie. Elle est un mouvement par lequel s’affirme une volonté collective d’agir, de coopérer, de s’organiser à partir de principes égalitaires et écologiques, alternatifs à ceux qui régissent les espaces de travail précarisés, productivistes et soumis au management néolibéral. L’intérêt pour la grève des chômeurs tient ainsi au fait que cette lutte tient à la fois de l’auto-défense de nos conditions d’existence et d’une volonté d’inventer un autre futur.
Pourtant, nous devons admettre que le « mouvement » escompté au mois de mai n’est pas encore advenu, à la hauteur des enjeux du moment. Les raisons en sont multiples : l’extrême dispersion des chômeurs et précaires sans lieu commun de rassemblement, éloignés des luttes politiques par toutes sortes de galères, la faiblesse générale des luttes actuelles, quasiment toutes défensives, l’éteignoir ou la criminalisation sarkozyste et médiatique sur toute forme d’action politique non institutionnelle, l’absence d’initiative militante véritablement coordonnée et déterminée...
Pourtant, nous ne perdons pas l’espoir que les bonnes volontés s’agrègent, que la mise en partage d’expériences, d’analyses, de techniques d’intervention, la discussion sur les mots d’ordre et les revendications nous rendent plus forts et déterminés à mener une lutte prolongée. Une telle lutte ne peut s’arrêter à une succession de coup d’éclats ou à une « campagne » éphémère ; c’est pourquoi nous vous proposons de nous rencontrer/retrouver à Montreuil le week end du 12 juin pour faire le point sur les semaines passées et envisager ensemble des perspectives pour les semaines qui viennent, et en particulier pour la rentrée de septembre.
Mouvement des chômeurs et précaires en lutte de Rennes, mcpl2008 gmail.com
Contribution pour la Coordination nationale des collectifs de chômeurs et précaires en grève du 12 juin à Montreuil
Nous ne pouvons pas nous permettre d’être pressés. La seule urgence, c’est de constituer un nouvel espace politique qui ne se laisse pas saturer par la logique de l’urgence. L’urgence est ce qui légitime le gouvernement.
Depuis des mois, des collectifs de chômeurs et précaires s’organisent. Des réunions publiques, des piquets de grève, des affichages et des distribuions de tracts, des permanences pour une autodéfense collective, des AG ont permis de mettre en place des éléments d’une pensée et des modes d’agir politiques pour affronter la situation actuelle. À Rennes, Brest, Lannion, Lorient, Nantes, Tours, Caen, Paris, Montreuil-sous-Bois, Antony, Nancy, Montpellier, Auch, Nice, Lyon, Perpignan, Lille, Bordeaux, en Dordogne... des occupations d’agences de Pôle emploi, de la CAF, des boîtes privées de coaching, des mairies, des administrations municipales et du Conseil Général, des autoréductions ont eu lieu. Des actions collectives ont permis souvent de faire reculer les machines de contrôle face à des pressions et des sanctions « individualisées ». Nous sommes souvent sortis victorieux de cet affrontement inégal. D’un côté le foisonnement des machineries de contrôle pour mettre au pas des chômeurs à coups de menaces, de sanctions, de punitions sous forme de radiations, suppressions d’allocations, réclamations d’indus ; d’injonctions à être dociles avec leurs offres raisonnables d’emploi, leurs stages débiles, leurs ateliers humiliants. De l’autre côté des actions permettant de récupérer des thunes, la réouverture de droits, l’annulation des radiations et la joie de constater que lorsque nous sommes nombreux la machine recule.
La grève des chômeurs est à la fois un refus du contrôle et un espace multiple d’expérimentation de formes collectives d’existence politique là où nous serions censés n’être que les sujets passifs de leur activation par l’emploi.
Mais la grève des chômeurs est plus qu’un « mouvement des chômeurs ». Elle ne saurait se réduire à un activisme ayant pour visée le seul espace de gestion du chômage et de la précarité. Elle annonce une recomposition politique qui allie la nécessité de nouveaux affrontements avec les formes de subordination au salariat capitaliste, y compris sur sous la forme de ce que des camarades de Rennes ont appelé le « travail social » comme subordination aux machines de contrôle qui est la généralisation d’une productivité subjective au service du capital. C’est contre leur l’idéal d’un devenir auto-entrepreneur pour tous, atomisés, mais branchés aux réseaux de la valorisation capitaliste que la grève des chômeurs s’invente... Contre le rapport d’exploitation travail/salaire, aussi bien dans l’espace formel de l’entreprise que dans les institutions exigeant un « travail sur soi » rétribué par des allocations de survie, la grève des chômeurs est aussi et l’ouverture d’un horizon qui permet de se lever contre la catastrophe de la gestion managériale-fasciste d’une société immanente à l’économie. Et contre son urgence.
Dans la grève des chômeurs, il s’agit de produire un espace multiple d’expérimentation qui passe aussi bien par l’insubordination que par l’enquête. Ces expérimentations fragmentent, pour ainsi dire, les totalisations sociales homogènes produites par la collaboration étroite entre le capitalisme et l’État. Cet horizon est celui de la possibilité des de nouvelles formes coopératives de travail émancipé, singulières, des pratiques de sabotage de la régulation capitaliste opérée par l’État, aussi bien dans les mondes urbains que dans les mondes dits « ruraux » pris ensemble dans un même processus de gestion métropolitaine globale pour en faire des territoires de l’économie.
Cet horizon s’ouvre lorsque nous sommes en mesure de créer des alliances : par exemple avec ceux qui luttent dans le monde du travail formel de l’entreprise capitaliste, ou avec ceux qui s’engagent dans des pratiques plurielles écologiques concrètes qui interrogent nos rapports avec nos milieux et rendent les lieux ingouvernables. C’est en ce sens que la grève des chômeurs est un refus du travail subordonné à l’entreprise capitaliste et une émancipation du travail vivant.
Lorsque les camarades de Brest disent dans un de leurs tracts « Nous avons le temps », il nous semble qu’il faut prendre au sérieux le constat que le temps de la politique est aussi le temps de constitution de la vie collective. En effet, nous devons nous approprier le temps. Il n’y a pas d’expérimentation politique sans un vécu du temps qui nous permette de sortir des affres de l’urgence. Certes, il faut intensifier et coordonner les modes de sabotage des machines à précariser et à contrôler : sans cela il n’y aura pas de constitution collective d’une grève des chômeurs. Il n’est pas faux non plus que le temps presse. Mais il faut aussi pouvoir se dire que nous sommes en train de construire un espace politique de longue haleine face à l’instauration de la catastrophe comme mode de gouvernement.
On peut faire l’hypothèse que la désarticulation de l’architecture qui construit les rapports entre l’État et le capitalisme va s’approfondir dans les années qui viennent.
Le rôle piteux des directions syndicales, qui sauf quelques exceptions paraissent mendier plus que jamais auprès du pouvoir une reconnaissance et une place au soleil des médias, semble indiquer qu’il sera difficile de compter dans les temps immédiats sur un improbable « mouvement social » auquel nous pourrions nous greffer et ceci malgré les plans de rigueur de plus en plus injustes. Dans un sens, il faudrait remplacer provisoirement le mot d’ordre de la « grève générale » par celui de la « grève transversale », comme disait un camarade de la CIP. Une grève transversale veut dire que dans des endroits très hétérogènes il est possible de bloquer la machine de gestion de la valorisation capitaliste. Mais elle veut dire aussi que dans plein d’endroits différents, avec des logiques locales propres à la constitution des de collectifs, on peut expérimenter des formes d’existence politique.
Dans la grève des chômeurs, il y aura des discussions sur le bien-fondé d’une politique portant sur les « droits » et sur des « revendications ». Nous disons que ces discussions sont quelque peu oiseuses. Il ne peut pas y avoir de lutte qui ne s’ancre pas dans le réel de la nécessité partagée par le plus grand nombre. Ces nécessités, on peut les appeler provisoirement des droits portés par des revendications qui leur sont conséquentes : ce sont des lignes de transversalité des luttes, mais elles ne sauraient s’y réduire. Dans la plupart des tracts de différents collectifs, ces revendications apparaissent : relèvement des minima sociaux, suppression du suivi obligatoire, le choix d’établir ou pas des « projets d’insertion » dans le cadre du RSA et plus largement des institutions sociales, suppression de l’offre raisonnable d’emploi, instauration d’un véritable accueil au service du chômeur et non pas au service des entreprises, suppression du 39 49, etc. Stratégiquement, à certains moments, il faudra appuyer sur certaines de ces revendications plutôt que sur d’autres.
La grève des chômeurs sera plus que jamais une grève productrice d’alliances. Un rassemblement. Elle est en train de créer le creuset de formes viables, dans un temps qui n’est pas celui de l’urgence, pour faire de la politique dans un nouveau cycle d’affrontements qui vient à peine de commencer. La grève des chômeurs affirme ainsi sa positivité : sortir de l’économie, c’est inventer ici et maintenant des formes de lutte pour le renversement de l’ordre policier de l’économie. Mais elle est aussi l’invention de formes de vie collectives incompatibles avec les processus de capture de la valorisation capitaliste.
Il sera nécessaire de s’organiser en conséquence. Dans ce sens nous n’avons pas de temps à perdre : la création d’une coordination sur l’hexagone doit être conçue comme une mise en résonance des expériences de lutte locales.
En premier lieu, cette résonance, pour qu’elle soit réelle, et pas seulement un vœu pieux, ni une stratégie, doit se donner les moyens d’une propagation de pratiques et de réflexions situées. Nous devons parier, face à des conceptions rivales de la politique qui vont se retrouver au sein de la coordination, sur un processus de pollinisation de la pensée et des actes qui s’ensuivent, leur mise à l’épreuve dans des échanges. Nous devons renoncer définitivement à la prétention à produire des énoncés unificateurs dans nos luttes. Le succès de l’énoncé « grève des chômeurs » proposé par les camarades du Mcpl de Rennes, provient de la possibilité de s’approprier un refus, des formes de résistance déterminées par la singularité de chaque collectif.
En deuxième lieu, la grève des chômeurs doit être conçue comme une enquête : les « points du réel » de la politique se construisent à partir d’un savoir sur les institutions, sur leur mode de fonctionnement, sur les résistances que suscitent les dispositifs de contrôle. Nous construisons la politique, elle n’est pas donnée, d’emblée. C’est cette enquête qui permettra de créer des alliances entre des espaces de lutte hétérogènes mais ancrés dans le réel de nos existences.
En troisième lieu, la grève des chômeurs est la mise à l’épreuve écosophique du postulat d’égalité à partir des différences qui se logent en son sein. Il ne saurait y avoir de position en surplomb proclamant la justesse d’une conception de la politique, d’une analyse de la situation, avant même la mise à l’épreuve d’un échange, et des conséquences de ces échanges.
Mais ça demande de fabriquer de la confiance. Pendant la grève qui ne fait que commencer, nous avons le temps car le temps presse.
Un gréveur
Ni emploi forcé, ni culpabilisation, ni management, grève des chômeurs !
17 affiches pour la grève des chômeurs - CAFards, Montreuil
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Thèses sur la grève des chômeurs et précaires
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