Après avoir travaillé sur le néolibéralisme et le gouvernement des individus, nous voudrions cette année - en continuant à nous appuyer sur les travaux de Michel Foucault - prolonger l’université ouverte en centrant le cycle 2009-2010 sur l’analyse des processus de subjectivation politique.
« La révolution dans le monde européen moderne n’a pas été seulement un projet politique, elle a été aussi une forme de vie »
« Je crois donc que cette idée de la vie artiste comme condition de l’œuvre d’art, authentification de l’œuvre d’art, œuvre d’art elle - même, est une manière de reprendre , sous un autre jour, avec un autre profil, ce principe cynique de la vie comme manifestation de rupture scandaleuse, par où la vérité se fait jour, se manifeste et prend corps »
Michel Foucault, Le courage de la vérité - Le gouvernement de soi et des autres II, Cours au Collège de France. 1984
L’instauration de la démocratie (l’égalité des droits, le droit pour n’importe qui de prendre la parole, de prétendre dire vrai par rapport aux affaires de la polis) va de pair avec la constitution d’un sujet « éthique », d’une forme de vie. Ce processus de production de subjectivité ne constitue pas un simple supplément moral, mais une nécessité structurelle de la démocratie.
La formation du sujet éthique a donné lieu à une alternative qui a marqué profondément le monde occidental : d’une part une métaphysique de l’âme représentée par le platonisme (et sa traduction chrétienne) qui donne à la connaissance et au souci de soi la forme de la contemplation en établissant un double clivage (de l’âme et du corps, du monde vrai et du monde des apparences) et, d’autre part, une « esthétique de l’existence » incarnée, selon Foucault, par les philosophes « Cyniques ». Cette tradition mineure de la philosophie grecque donne à la connaissance de soi et au souci de soi la forme de l’exercice, de la pratique et de la mise à l’épreuve de soi, de la vie et du monde. Avec les cyniques, l’« esthétique de l’existence » prend la forme d’une expérimentation qui est à la fois un combat dans le monde et contre le monde, pour une « vie autre » et pour un « monde autre ».
A partir des cyniques, Foucault dessine la tradition d’une « vie militante » qui traverse toute l’histoire de l’Occident : une militance qui prétend changer à la fois les institution, les lois et la vie, un militantisme « ouvert et agressif ». Le scandale de la vie cynique a un triple héritage : les mouvements religieux tout au long du Moyen-âge et avant et après la réforme protestante, le militantisme révolutionnaire du XIXe siècle et la vie d’artiste.
Dans le militantisme du XIX siècle ce qui intéresse Foucault est la manière dont a été définie, caractérisée, organisée, réglée la vie comme activité révolutionnaire ou l’activité révolutionnaire comme vie sous les différentes formes de « sociétés sécrètes », de l’organisation instituée (syndicale et politique) et le « témoignage de la vraie vie par la vie elle-même ».
Le thème de la vie autre, le scandale d’une vie de combat dans le monde et contre le monde, on le retrouve aussi, toujours selon Foucault, dans l’art et dans les modes de vie des artistes.
« L’art moderne, anti-platonicien et anti-aristotélicien ; réduction, mise à nu de l’élémentaire de l’existence ; refus, rejet perpétuel de toute forme déjà acquise. Cet art moderne, sous ces deux aspects, a une fonction que l’on pourrait dire anti - culturelle. Il y a opposer, au consensus de la culture, le courage de l’art dans sa vérité barbare. »
Que la révolution politique doive s’accompagner d’une révolution moléculaire est une thématique également portée par Félix Guattari qui l’exprime de façon différente.
Il s’agirait donc de problématiser le rapport entre politique et mode de vie, à partir de notre expérience de la démocratie, celle que l’on pratique, par exemple, dans la Coordination.
On utilisera les deux derniers cours de Foucault au Collège de France et notamment la deuxième partie du cours « Le Courage de la vérité » (1984), où la question de la « vie militante » est problèmatisée (à partir de la page 163).
Le programme est encore en chantier. Il y aurait trois séances sur cette thématique de la « vie militante » (deux à partir des cours de Foucault qui traitent de la question, une séance à partir de Guattari sur le même problème).
Les autres séances proposées :
Sur l’évaluation, de l’évaluation des choses, des fonctions à l’évaluation des hommes et de leur subjectivité, avec Bertrand Ogilvie.
RSA /Nouveau modèle d’indemnisation du chômage des salariés à l’emploi discontinu ; mouvements sociaux et traduction étatique.
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Les séances auront lieu en principe le 3e jeudi de chaque mois à 18h30 à la coordination des intermittents et précaires, 14 quai de charente, Paris 19e, M° Corentin Cariou, Ligne 7, et sont suivies du partage d’une soupe ou d’autres victuailles.
RDV à 18h30 les jeudi
19 novembre : Projection de Die Kühle Wampe : Wem gehört die Welt ?, (« Ventres glacés, À qui appartient le monde ? »), 1932. Réalisé par Bertolt Brecht et Slatan Dudow pendant la grande crise, suite à un suicide de chômeur qui avait fait les premières pages de la presse sous le titre, « Suicide d’un tel, un chômeur de moins », ce film retrace l’histoire de la colonie ouvrière autonome de Müggelsee à Berlin.
17 décembre : Qu’est-ce qu’une vie militante ?, introduction de Judith Revel.
Dans le dernier cours qu’il tient au Collège de France, en 1984, Foucault s’intéresse aux cyniques. Mais au détour d’une séance, il trace en pointillés ce que pourrait être, depuis l’antiquité tardive à laquelle il s’intéresse jusqu’à nous, aujourd’hui, une généalogie de la vie militante. Que signifie exactement faire de sa propre vie la matière d’une élaboration de soi ? Cette invention de soi - cette subjectivation - est-elle autre chose que ce que l’on peut appeler aussi une résistance ? Et quelle est, au présent, la forme de ce que fut, il y a vingt siècles le « scandale » cynique, c’est-à-dire aussi l’actualité de la rupture, de la torsion et du déplacement des ordres constitués ?
On lira égaelement de Judith Revel : « N’oubliez pas d’inventer votre vie », à propos de Michel Foucault, Le Courage de la vérité, Le gouvernement de soi et des autres
14 janvier (la séance a exceptionnellement lieu à 19H) : Le « nouveau paradigme esthétique » de Félix Guattari
La séance sera introduite par la projection d’une vidéo d’une conférence de Félix Guattari dans une école d’art à Los Angeles en 1991, un an avant sa mort, pendant la guerre du golfe. Nous visionnerons un débat (57 mn) où Guattari, répondant au public, trace les lignes fondamentales de sa proposition éthico-politique d’un nouveau paradigme esthétique. La présentation de cette alternative aux paradigmes d’inspiration scientiste qui caractérisent les sciences sociales (marxisme compris) est faite à travers un parallèle entre une nouvelle conception de l’ « objet artistique » (il citera l’art conceptuel) et une configuration de l’ « objet politique » qui émerge pendant cette guerre du Golfe, notamment à travers les initiatives de Sadam Hussein. Le paradigme esthétique n’invite pas à une « esthétisation » du social et du politique, mais dessine une nouvelle conception de l’action et des pratiques sociales et politiques.
Le paradigme proposé par Guattari recoupe, en certains endroits, la volonté foucaultienne, de faire de la vie un « objet esthétique ». Il ne s’agit pas de réactiver un genre de dandysme, mais d’une production de soi qui ne peut être conçue que comme un processus ouvert et indéterminé à la manière d’une performance.
Le débat sera notamment animé par Anne Sauvagnargues et Anne Querrien.
25 février : Énonciation et politique. Lectures parallèles de la démocratie : Foucault et Rancière
Pour Rancière, la démocratie grecque antique a définitivement démontré que la politique n’a qu’un seul principe, l’égalité, et que dans le langage on peut trouver le minimum d’égalité nécessaire à la compréhension des êtres parlants permettant de vérifier le principe de l’égalité politique. La parole, qu’elle soit de l’ordre du commandement ou du problème, suppose l’entente dans le langage. L’action politique doit majorer et effectuer cette puissance de l’égalité contenue, tant soit peu, dans le langage .
Pour la lecture foucaldienne de la même démocratie, l’égalité constitue une condition nécessaire, mais non suffisante de la politique. L’énonciation (le dire vrai - parrhèsia) détermine des rapports paradoxaux dans la démocratie, puisque le parler vrai introduit la différence de l’énonciation dans l’égalité de la langue, ce qui implique nécessairement une « différenciation éthique ». L’action politique se déploie dans le cadre des « rapports paradoxaux » que l’égalité entretient avec la différence et dont les singularités forment l’aboutissement.
Les rapports paradoxaux entre égalité et différence peuvent être utilement appréhendés à travers le concept de disjonction inclusive proposé par Deleuze et Guattari.
18 mars, Figures, discours, introduction de Bernard Aspe.
Admettons que la politique soit l’élaboration des conditions qui permettent l’abolition de l’état de choses existant. Le communisme était pour Marx le « mouvement réel » qui effectue cette abolition. Cette définition suppose que le capitalisme porte en lui les conditions de sa propre abolition ; qu’il les sécrète, et ne peut que s’appuyer sur elles, tout en conjurant autant que possible leur complète mise au jour, qui supposerait son démantèlement. Il y aurait donc, au cœur du capitalisme, cette contradiction : il ne peut vivre que de ce qui, inéluctablement, doit lui donner la mort. Certains ont attendu, attendent encore que cette contradiction conduise d’elle-même au renversement du système-monde dans lequel nous sommes planétairement immergés. Cette erreur a cependant été corrigée depuis longtemps : pour qu’un tel renversement soit possible, il ne suffit pas d’invoquer une nécessité objective. Il faut encore qu’elle soit doublée d’une nécessité proprement subjective. Mais cette nécessité ne peut être conçue sans que lui soit donnée une figure. Le prolétariat a été la figure donnée à la nécessité subjective de l’abolition du capitalisme. L’histoire du mouvement révolutionnaire est celle des déclinaisons de cette figure, de sa cristallisation en « classe ouvrière », et de la sortie progressive hors de la référence à la classe ouvrière à partir des années 1970.
La suite...
Livre en ligne : L’instant d’après, projectiles pour une politique à l’état naissant, Bernard Aspe.
15 avril, la séance sera introduite par les rédacteurs de État social actif, ne pas céder sur nos désirs - Choming out
3 juin, Guy and Co, film et scénario de Lionel Soukaz, d’après une idée de René Schérer
L’hypothèse du bio-pouvoir : entre polémique et cybernétique ? Muriel Combes.
La parrhèsia : le courage de la révolte et de la vérité, Fulvia Carnevale
Une sociologie foucaldienne du néo-libéralisme est-elle possible ? Laurent Jeanpierre
La mort du libéralisme, Laurent Jeanpierre
Entre expérience et expérimentation, une politique qui ne porte toujours pas le nom de politique
« Refondation sociale » patronale : Le gouvernement par l’individualisation, Maurizio Lazzarato
Naissance de la biopolitique, Leçon du 7 mars 1979, Michel Foucault
Naissance de la biopolitique, Leçon du 21 mars 1979, Michel Foucault
L’Anti-Oedipe : Une introduction à la vie non fasciste, Michel Foucault
« Omnes et singulatim » : vers une critique de la raison politique, Michel Foucault
De la production de subjectivité, Félix Guattari
Post-scriptum sur les sociétés de contrôle, Gilles Deleuze, L’autre journal, n°1, mai 1990
Culture : un concept réactionnaire ? Felix Guattari et Suely Rolnik
Simondon, Individu et collectivité. Pour une philosophie du transindividuel, Muriel Combes
Ecosophie ou barbarie, soigner la vie anormale des gens normaux, Valérie Marange
Nous sommes les media :
La coordination des intermittents et précaires est menacée d’expulsion par la ville de Paris. Pour plus d’informations, lire la pétition pour le relogement signable en ligne :
Nous avons besoin de lieux pour habiter le monde
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Merci de signer et faites savoir !
Pour ne pas se laisser faire, agir collectivement :
Permanence CAP d’accueil et d’information sur le régime d’assurance-chômage des intermittents du spectacle, lundi de 15h à 18h. Envoyez questions détaillées, remarques, analyses à cap cip-idf.org
Permanences précarité, lundi de 15h à 17h30. Adressez témoignages, analyses, questions à permanenceprecarite cip-idf.org
À la CIP, 14 quai de charente, Paris 19e, M° Corentin Cariou, ligne 7, Tel 01 40 34 59 74