300 personnes ont manifesté devant le Musée. Albanel et Pécresse se sont décommandées. Interpellés par de nombreux invités alors qu’ils allaient prendre la parole, Besson et Darcos n’ont pas pu causer à leur public.
Cette inauguration au Musée de l’immigration a donc été annulée.
Voici un reportage sonore (15mn) sur la manifestation aux abords du Musée :
Ni exhibition gouvernementale, ni xénophobie, ni concurrence.
Rendons la honte plus honteuse encore en la livrant à la publicité.
Le tract d’appel, puis, plus bas : « Laissez Abdelmalek Sayad en paix ! Non à l’instrumentalisation posthume du sociologue de l’immigration »
Par prudence, jamais Brice Hortefeux n’avait inauguré la Cité nationale de l’histoire de l’immigration. Pour éviter que leur politique soit publiquement mise en cause, l’invitation à cette cérémonie a été très discrètement lancée par les ministres Christine Albanel, Éric Besson, Xavier Darcos et Valérie Pécresse.
Nous, chômeurs, intermittents, précaires, sans-papiers, étudiants, licenciés, enseignants-chercheurs, salariés en tout genre, appelons tous ceux qui savent que ni une grève générale bimestrielle ni la dispersion catégorielle ne nous feront rien gagner, à un
Rassemblement
Lundi 30 mars à 10H
293, avenue Daumesnil, 75012 Paris, M° Porte Dorée
Auberge espagnole, casseroles, fumigènes, batucadas, tout est bon
Rendons la honte plus honteuse encore en la livrant à la publicité.
Refusons leur politique, c’est la xénophobie et la concurrence qu’il faut mettre au musée.
Ni exhibition sans frais, ni liberté de parole pour les ministres et autres gouvernants.
La politique de l’« immigration choisie » scinde l’immigration entre celle admise pour les besoins de l’entreprise France et celle persécutée sous le joug de France police. Regroupement familial ? Terminé. Carte de résident permettant 10 ans de séjour ? Terminée. Régularisations ? Par l’emploi, au compte-gouttes et aux forceps. La chasse aux sans papiers continue.
Les objectifs 2010 sont de 28 000 reconduites à la frontière et de 5 500 interpellations d’aidants (source : Projet de Loi de Finances 2009). Chacun est appelé à participer à la traque, banques et autres entreprises, personnels des institutions sociales, tous sont instamment priés de pratiquer la délation. Et pour les contrevenants : délit d’aide au séjour irrégulier.
Mais comme on l’a fait avec celui de Guy Môquet, pour occulter la barbarie de la politique actuellement mise en oeuvre, on se sert du nom du sociologue Abdelmalek Sayad, dont les analyses ont restitué à l’immigré/immigrant des dimensions toute autres que celles autorisées par le prisme étroit du travail. Grèves de travailleurs sans-papiers, solidarités de quartiers contre l’expulsion des scolarisés, lutte pour la régularisation et révoltes des retenus des centres de rétention forment autant de refus de cette politique, autant de refus auxquels nous sommes attachés. Il n’est pas question que le sinistre Besson chargé de mettre en oeuvre cette politique puisse se pavaner, même en privé.
Albanel finance les cathédrales, bafoue les droits des salariés intermittents et voudrait, par la loi Hadopi, qualifier de délit de vol les pratiques de gratuité en matière de circulation des oeuvres. Elle défend l’excellence, dépourvu de droits, chacun serait voué à quémander des subventions à diverses féodalités. On contrôle systématiquement les activités d’un secteur laminé par les réformes de l’Unedic qui excluent toujours plus d’ayant droits de l’indemnisation chômage.
Il n’y a pas de politique culturelle acceptable qui ne garantisse une continuité de droits pour les salariés d’un secteur dont bien des productions reposent sur l’intermittence. Il n’y a pas de politique culturelle acceptable lorsque celle-ci s’acharne à entraver la culture populaire et les pratiques indépendantes. Il n’y a pas de politique culturelle acceptable lorsque la défense et l’extension de la propriété privée sont au poste de commande. Il n’est pas question pour nous que cette incarnation de la France versaillaise prolonge l’extermination des communards et les obstacles au partage à coups de com et de lois de privatisation du bien commun.
Darcos et Pécresse sont pour leur part en charge des réformes de l’école. De la maternelle à l’université, de la loi LRU au décret réformant le statut des enseignants-chercheurs, il s’agit d’imposer partout une rationalité managériale fondée sur l’évaluation administrative et comptable pour façonner une société de concurrence par la réforme permanente.
Il s’agit de parfaire la société entreprise, l’organisation de l’exploitation et de la domination. Les luttes en cours à l’université depuis deux mois refusent cette politique. Pécresse a été accueillie comme il se doit par les grévistes de Strasbourg le 5 février dernier ; face à la mobilisation, elle a dû annuler un « débat » (« À quand une université efficace ? », avec Bruno Julliard, ex-pdg de l’UNEF) à l’ENA le 16mars, puis un autre, à l’invitation de Libération, à Rennes le 21mars. Crise ou pas, nous ne payerons pas : l’expertise dont ils se prévalent pour décider de nos vies n’a aucune légitimité.
On nous voudrait terrorisés par l’insécurité sociale et la criminalisation des luttes, on nous voudrait atomisés par les exigences de la survie et le renoncement, avec ou sans droit à pension de retraite, nous sommes et serons fidèles à la maxime de nos aïeux : paix aux chaumières, guerre aux châteaux !
N’attendons pas le Premier mai, rassemblons-nous
Partout où ils se croient libres, bloquons-les !
Des chômeurs, des intermittents et précaires coordonnés
Lutter construit la puissance du nous
Nous sommes tous des irréguliers de ce système absurde et mortifère, l’éditorial et le sommaire de L’Interluttants n°29, hiver 2008/2009
Collectif - 30 mars 2009
« Laissez Abdelmalek Sayad en paix ! Non à l’instrumentalisation posthume du sociologue de l’immigration »
TERRA-Editions, Coll. « Reflets », 30 mars 2009
La médiathèque « Abdelmalek Sayad » de la cité de l’immigration ouvrira le lundi 30 mars Pourquoi pas ? La création d’un outil institutionnel ouvert au public destiné à la promotion et à la valorisation des cultures de l’immigration a une utilité pédagogique en ces temps de stigmatisation tout azimut des populations venant des pays du Sud. Le fait que l’on donne le nom d’un intellectuel à une médiathèque n’a pas non plus en soi un caractère scandaleux. En revanche l’idée que la figure emblématique de la sociologie de l’immigration soit ainsi instrumentalisée et que cette inauguration soit conduite par les ministres C. Aubanel (Culture), X. Darcos (Education nationale), V. Pécresse (Enseignement supérieur et recherche) et E. Besson (Immigration et identité nationale) est inadmissible pour ceux qui respectent son œuvre. Que A. Sayad, décédé en 1998, soit arboré par des personnes ayant manifesté du mépris pour la pensée, pour le bien commun et participant de la xénophobie de gouvernement dans une cérémonie publique officielle est inacceptable. Il est pénible de penser que le dépositaire de la politique d’expulsion, d’arrestation et de traque des étrangers, le ministre de l’immigration, de l’identité nationale, de l’intégration et du développement solidaire, puisse récupérer d’une quelconque manière cette haute personnalité de la pensée.
Il y a plusieurs raisons à cela :
Les critiques suscitées par la création en 2006 de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration (CNHI) et les hypothèques qui pèsent depuis sur l’établissement public de la Porte Dorée, auquel est rattachée cette médiathèque, ne sont pas levées. Rappelons-en rapidement quelques-unes : Le fait d’avoir imaginé un établissement ad hoc, en dehors de l’institution muséographique, pour aborder l’histoire et la mémoire immigrée pose toujours problème. Comme l’a expliqué A. Sayad, l’immigration est toujours traitée comme un cas particulier et ne fait jamais l’objet d’une prise en charge banale par le droit commun. En outre le symbole du site choisi pour installer la Cité, anciennement palais des colonies et jardin d’acclimatation est pour le moins de mauvais goût vu son histoire. Enfin, au vu des modalités du pilotage très « politique » et des découpages ethnico-thématiques des actions de la CNHI, les interrogations sur la manipulation symbolique demeurent entières. Les multiples escamotages et soubresauts qui ont accompagné la gestation et le lancement de la Cité, ainsi que la démission d’historiens de l’immigration de son conseil scientifique, ont témoigné de ces tensions. Rien n’a été réglé pour éviter les risques d’une production culturelle officielle, étatisée et ethnocentrée du récit des migrations.
Deuxième raison fondamentale de notre refus de cette instrumentalisation : qu’est-ce qui justifie le fait de donner le nom d’Abdelmalek Sayad à un équipement culturel dédié à l’immigration ? N’est-ce pas une façon réitérée d’assigner identitairement et de confiner l’immigration, post-coloniale et algérienne en l’occurrence, dans cet espace ? Pourquoi à l’inverse a-t-on empêché qu’un collège des Hauts-de-Seine porte le nom du co-auteur du « Nanterre algérien » (1995) et de l’égal de Pierre Bourdieu ? Selon certains élus du département cela aurait été « porteur d’une trop forte connotation identitaire qui risquait d’enfermer ce collège dans une image communautariste » ! Et comme l’avait assené la vice-présidente du Conseil Général pour s’opposer à ce que le collège, aujourd’hui appelé « République », porte ce nom en dépit de la mobilisation associative - « il faut choisir des noms qui ne prêtent pas à la polémique » (sic) ! Ce qui veut dire : « pas de nom à consonance algérienne pour un équipement d’enseignement ». Mais un tel nom reste en revanche possible pour une médiathèque sur l’immigration inaugurée en grande pompe, pour faire symbole. Au beau pays de la République une et indivisible, un équipement dédié à l’immigration ne peut que porter un nom renvoyant à sa supposée altérité. Est-ce cela la philosophie de la diversité ? Qui ethnicise ici ?
N’entraînons pas A. Sayad dans cette galère de la fausse repentance et de la vraie commémoration ! Savent-ils seulement, ces mondains, qui était A. Sayad ? Ont-ils lu ne serait-ce qu’une seule ligne d’un seul article de cet orfèvre patient et obstiné de la désoccultation des rapports de domination dans la migration ? Connaissent-ils « Les ‘‘trois âges’’ de l’émigration algérienne » (1977) ou El Ghorba (1975) narrant l’histoire de Mohand le Kabyle cachant à sa mère qu’il part de son village pour venir travailler en métropole ? Ont-ils jamais entendu parler du « foyer des sans-famille » (1980) mettant à nu le système d’encadrement spatial des migrants post-coloniaux ou encore de « la ‘‘vacance’’ comme pathologie de la condition immigrée » (1986) dévoilant les mécanismes du vieillissement en migration ? Non. Ces titulaires de maroquins n’en veulent rien savoir. Ils peuvent bien déclamer quelques sonnets tirés du Lagarde et Michard dans des talk show télévisés, ou inaugurer les musées du pillage colonial quand leur maître, l’homme du discours de Dakar, piétine la Princesse de Clèves, mais point lire l’auteur de « La pauvreté exotique » (2006) et de « L’immigration et la ‘‘pensée d’Etat’’ » (1997).
Penser que ces représentants politiques qui ferment des instituts culturels à l’étranger et des classes d’appui dans les quartiers populaires, qui précarisent et méprisent les enseignants, privatisent les chercheurs et externalisent les personnels des universités puissent inaugurer de conserve une médiathèque Abdelmalek Sayad est proprement inacceptable.
30 mars 2009
Agier Michel (anthropologue IRD - EHESS, CEAf)
Bazenguissa-Ganga Rémy (anthropologue Lille 1, EHESS-CEAf)
Bernardot Marc (sociologue, Univ. Le Havre)
Bigo Didier (politiste, Science Po, CERI, CEC)
Brossat Alain (philosophe, Univ. Paris 8)
Doytcheva Milena (politiste, Univ. Lille 3, GRACC)
Freedman Jane (politiste, Univ. Southampton / Univ. Paris 1, CRPS)
Guénif Nacira (sociologue, Univ. Paris 13)
Guichard Eric (information & communication, ENSSIB, Lyon)
Ivekovic Rada (philosophe, Univ. Saint-Etienne, Collège international de philosophie)
Le Cour Grandmaison Olivier (politiste, Univ. Evry)
Lemarchand Arnaud (économiste, Univ. Le Havre)
Palidda Salvatore (sociologue, Univ. Gênes)
Poiret Christian (sociologue, Univ. Paris 7)
Rechtman Richard (Psychiatre et anthropologue, Hôpital Marcel Rivière, EHESS-Iris)
Thomas Hélène (politiste, IEP Aix)
Valluy Jérôme (politiste, Univ. Paris 1, CRPS)
Vlassopoulou Chloé (politiste, Univ. Amiens)