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La crise, un échec du communisme du capital, Christian Marazzi

Publié, le vendredi 14 novembre 2008 | Imprimer Imprimer |
Dernière modification : samedi 22 novembre 2008


Un entretien avec Christian Marazzi (C.M. a également introduit une séance de l’université ouverte.

Restriction du crédit, crise de liquidité, budgets remplis de titres « toxiques »... Il semble que le système que tu as qualifié de « bio-capital » soit gravement malade...

Il se passe, je crois, que ce que certains avaient appelé capitalisme managérial ou actionnarial et que d’autres qualifient de bio-économie, en bref, ce capitalisme des vingt dernières années, montre toute sa fragilité. La question n’est pas tellement le manque de liquidité ou de capitaux dans le système. Il y en a. Et de toute façon, les banques centrales sont engagées chaque jour à maintenir la liquidité. Mais il y a une crise de confiance totale dans le monde financier et bancaire. Pour les opérations de compte courant, les banques n’ont plus la possibilité de recourir les unes aux autres. Personne ne sait plus ce qu’il y a dans le budget de la banque d’à côté. Ils n’ont plus confiance. C’est en cela que la crise financière est liée à l’économie tout court. Et de ce fait, les récessions ne peuvent aller qu’en s’amplifiant.

Comment le capitalisme fait-il pour s’en sortir ?

Commençons par dire comment nous pouvons imaginer qu’il s’en sort... Cela dépend de la façon dont on définit ce nouveau capitalisme financier. En général, et ceci vaut surtout pour la gauche, les causes de la crise sont vues comme liées à la perversion de la finance et à des choix qui ne privilégient pas les investissements destinés à l’innovation, destinés à l’emploi.

La gauche impute à la financiarisation de n’avoir produit que la rente financière, et pas la croissance économique, en renouvelant cette division entre économie réelle, d’une part, et économie financière et monétaire, de l’autre. Je crois que cette division date du 20e siècle. Depuis les années 1970, les coordonnées de la croissance capitaliste se trouvent plutôt dans un nouveau rapport entre machines et travail vivant. De manière métaphorique, on pourrait dire que le capital a emprunté la voie qui lui permettait de sortir des grilles de l’usine et d’aller pomper toujours plus de valeur dans les classes sociales, dans la société tout entière. Dans l’espace et le temps de la société tout entière.

Est-ce que c’est cela, la bio-économie ?

C’est la vie, les savoirs, la coopération sociale et spontanée, tout ce qui est dans la sphère de la circulation de la vie, comme source de valeur. La financiarisation constitue une partie de ce processus : la rente financière est le visage monétaire d’une valeur captée dans le corps vivant de la société. Coopération, disponibilité, créativité mises au service de la valeur. La vie a pris la place de la terre, diraient les physiocrates. Et dans ce processus il y a un devenir-rente du profit, et peut-être même un devenir-rente du salaire.

Le destin des travailleurs a été lié à celui du capital à travers les fonds de pension et la dévalorisation du travail. Tout cela est évident aux États Unis, où les effets de la richesse sont extrêmement inégaux. Les salaires ne progressent plus, ils sont déstabilisés, dé-standardisés, précarisés. Le travail ne réussit plus à produire pour stimuler la croissance, mais le capitalisme a développé énormément le crédit à la consommation pour soutenir la demande et la croissance.

Sans la consommation, il n’y a pas de croissance possible, et le levier qui a comblé le fossé entre les salaires et la plus-value produite, c’est aujourd’hui le crédit. Le levier financier est ainsi entré dans la demande de consommation. Et il a fonctionné jusqu’à l’an passé. Pour comprendre cette crise, il faut saisir ce qu’il y a de nouveau dans le capitalisme financier.

Dans la bio-économie, la différence entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas, entre ceux qui participent à la classe financière et ceux qui la subissent est centrale. Ces asymétries de connaissance, de pouvoir, sont-elles en train de disparaître ? Aident-elles a dévoiler la vérité ?

Le système est mensonger en soi. Il y une asymétrie de croissance classique. Foucault l’explique bien : le pouvoir doit produire le savoir, le détenir et même l’extorquer aux gens. Les marchés fonctionnent par des vagues de conventions : Internet, la Chine, l’immobilier ont produit des mouvements d’opinion publique historiquement déterminés à se tourner vers les objets du désir-investissement. Internet et la Nouvelle Économie dans les années 90, la Chine comme pays émergent à cheval sur le XXIe siècle et ensuite la convention immobilière comme nouvelle frontière.

Les conventions ne sont jamais vraies, mais elles sont réelles. Elles produisent. Dans la financiarisation, il n’y a pas seulement du papier. Il y a la croissance. La Nouvelle Économie a permis de câbler trois quarts de la planète. Et lorsque la crise des dot.com a éclaté, les réseaux ont été vendus à des prix très, très bas. L’entrée de l’Inde dans le club des pays à fort taux de développement s’est véritablement produite dans cette phase : ils ont acheté les réseaux ; ils ont aussi investi et travaillé. Le cas de l’immobilier est encore plus intéressant. Des maisons ont été construites aux Etats Unis, ce n’est pas une fiction. Mais par la suite, ceux qui avaient pu accéder au logement grâce aux crédits subprimes ont perdu leur maison, ils ont embarqué les cadres des fenêtres ou démonté les carreaux. Voilà. Ce qui fait sauter la finance, je crois, c’est la différence entre le droit de propriété sociale et la propriété privée. Quelle est la différence entre des logements construits pour les classes populaires, avec de l’argent public et dans le cadre de programmes sociaux, et le fait de laisser le marché décider de la construction des logements ? Le marché sait construire, mais il ne sait pas socialiser. Et il bute tôt ou tard là-dessus.

Il y a une sorte de communisme du capital qui n’a pas trouvé, et qui ne trouvera jamais, une organisation efficace en ce qui concerne la propriété.

Est-ce que tu t’adresses à la gauche ? Y a-t-il quelque chose qui cloche dans ses analyses ?

Ce que je vois, c’est que nous ne réussissons pas à digérer ce caractère expansif de la financiarisation. Il nous oblige à penser à des formes de lutte et à remettre en discussion les repères, tel le concept de propriété. S’il n’y a que l’individualisme propriétaire ou patrimonial, qui semble être la nouvelle définition de l’homo œconomicus postfordiste, comment faisons-nous, politiquement, et même d’un point de vue de l’organisation, pour re-proposer la propriété sociale, la propriété collective, le « public » en général ou le « commun » ?

De même pour le savoir collectif, les relations sociales et tout ce que nous produisons et qui fait que nous sommes dans la bio-économie. Au fond, nous en sommes à nouveau aux « commons » du 17ème siècle en Angleterre, la clôture des terres communes, fondement de la propriété privée et du capitalisme. Nous voilà revenus au temps des physiocrates.

La financiarisation permet de créer de nouvelles clôtures, de créer la pénurie dans l’abondance. C’est la raison pour laquelle je conteste la thèse d’un manque de liquidité dans le système, de même qu’il n’y a pas de manque de logements. La seule chose qui manque dans ce système, ce sont les droits sociaux.

Et du point de vue macroéconomique, quelles sont tes prévisions ?

Je ne peux répondre qu’en fonction des données qui arrivent au jour le jour. Les indicateurs sont très négatifs aux E-U comme en Europe. C’est la récession.

Mais je vois se dessiner un sérieux risque de stagflation. Il y a des signaux de ralentissement de la consommation, mais il y a aussi un doublement du déficit public américain. Il appelle un questionnement sans précédent. Peut-il rester, et pour combien de temps, protégé et défendu à ce point par toutes les banques centrales ?

N’importe quelle autre monnaie se serait écroulée. À présent, même si les échanges avec l’UE sont bien plus importants, la Chine n’a pas lâché les Etats-Unis.

C’est un marché trop important et trop riche. Mais ne sommes-nous pas proches du moment où ils pourraient réorienter leurs intérêts vers l’Europe, qui soutiendrait alors le dollar ? Et que feront les opérateurs du pétrole de tous les biens et de tous les marchés évalués en dollars ? Se laisseront-ils entraîner dans la dévaluation ? Je ne le crois pas. Ils agiront.

En Amérique beaucoup de commentateurs parient sur la fin de la « super-classe » du 1% de décideurs et détenteurs de capital financier et sur le retour de la classe moyenne. D’autres parient sur les pays émergents...

C’est vrai qu’il y a une forte croissance, dans les limites que nous connaissons actuellement, de la classe moyenne des pays émergents. Pourtant, le modèle américain ne peut pas se reproduire à l’identique, il peut seulement se redistribuer, c’est-à-dire se déplacer du super-consommateur d’un pays à l’autre. Mais je vois l’autre face du discours. Celle qui dit que nous sommes tous sur le même bateau. L’appel à se serrer tous la ceinture. Je me souviens d’Alan Greenspan, dans les premières années de cette turbulence, lorsqu’il disait qu’il fallait absolument affronter la question des salaires. Ils l’ont tous dit à tour de rôle. Mais, depuis vingt ans, les travailleurs sont tenus en échec, depuis les conditions de négociation jusqu’au cadre législatif et fiscal, en passant par le salaire et le pouvoir d’achat. Et maintenant ils nous demandent unité et sacrifices. C’est à la gauche de reconstruire la voie d’un changement politique, dans cette phase de tension et de conflit. Je crois qu’il est nécessaire de sortir de la perspective salariale et de créer une perspective de rente sociale.

Chacun d’entre nous produit une richesse qui n’est pas seulement monétaire, dans la société. Nous devrions réfléchir à la propriété sociale, aux droits sociaux. C’est difficile. Cela veut dire qu’il faut remettre en cause ses certitudes. Mais c’est nécessaire.

Entretien, réalisé par Claudio Jampaglia pour Liberazione le 04/10/2008, avec Christian Marazzi. Économiste et sociologue, celui-ci a publié en français, La place des chaussettes : le tournant linguistique de l’économie et ses conséquences politiques (L’éclat, La Tour d’Aigues, 1997, 190 p.) et Et vogue l’argent (L’Aube, coll. « Société et territoire. Série Prospective du présent », Paris, 2003, 164 p.)





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