Nous nous proposons à quelques uns de relancer un atelier lecture, à la suite de diverses discussions qui nous donnent envie d’approfondir et de partager notamment autour des questions du genre, du corps, de la construction des catégories de pouvoir.
il s’agirait de commencer, nous n’avons pas de canevas défini précisément ni de ligne de conduite le chemin invite à être emprunté, nous verrons bien sur la route.
Vendredi 11 avril à 18H00
au quai, 14/16 quai de Charente, Paris 19e
avec comme premières balises « la matrice de la race » d’ Elsa Dorlin et « une chambre à soi » de Virginia Woolf, entres autres cailloux. Si vous pensez à d’autres ?
La Matrice de la Race
la généalogie sexuelle et coloniale de la nation française
Elsa Dorlin analyse la formation de la nation française à partir de l’articulation entre le genre, la sexualité et la race, ou comment au 17è la conception du corps des femmes comme un corps malade justifie efficacement l’inégalité des sexes. le sain et le malsain fonctionnent comme des catégories de pouvoir. Aux Amériques, les premiers naturalistes prennent alors modèle sur la différence sexuelle pour élaborer le concept de « race » : les Indiens Caraibes ou les esclaves déportés seraient des populations au tempérament pathogène, efféminé et faible.
« l’histoire du concept de tempérament, le fait qu’il ait efficacement produit et maintenu la différenciation sexuelle des corps et leur hiérarchisation l’ont transformé en outil idéal au moment de l’intensification de la colonisation et de la traite négrière. Idéal car il renferme l’idée d’un principe endogène de différenciation et de discrimination articulé aux catégories du sain et du malsain. En ce sens la tempérament peut être défini comme un schème, comme une notion-outil, il fournit la règle d’application des catégories politico-historiques que sont le sexe ou la race. Autrement dit, à l’age classique, le tempérament a non seulement permis de conceptualiser le sexe et la race mais il a également permis de définir à qui s’appliquaient en priorité ces catégories : les femmes, les indiens, les esclaves...il s’agit donc d’un schème cognitif et discursif qui participe d’un dispositif du pouvoir. la fabrication d’un tempérament de race sur le modèle d’un tempérament de sexe sert non seulement l’idéologie esclavagiste qui se développe au coeur des Lumières européennes, mais aussi un rapport de force éminemment violent, une domination plantocratique précaire, à l’œuvre dans les colonies françaises. »
Une Chambre à soi
"Qu’avaient donc fait nos mères pour ne pouvoir nous laisser le moindre bien ? Elles se poudraient le nez ? Regardaient les devantures des magasins ? Se pavanaient au soleil de Monte Carlo ? (...) Et ( pardonnez moi cette pensée) je pensais aussi à ses admirables cigarettes, à ses admirables boissons, à ses profonds fauteuils et à ses agréables tapis, à l’urbanité, à la cordialité, à la dignité qui sont filles du luxe, de l’intimité et de l’espace. Certes nos mères ne nous avaient pourvues de rien qui fut comparable à ces choses - nos mères qui trouvaient si difficile de réunir trente mille livres, nos mères qui donnaient treize enfants aux ministres du culte de Saint Andrews.
Je m’en retournai à mon auberge et, tout en marchant le long des rues sombres, je réfléchissais à une chose et à une autre, comme on le fait d’habitude à la fin d’une journée de travail. Je me demandais pourquoi Mrs Seaton n’avait pas pu nous laisser d’argent, et quel était l’effet produit sur l’esprit par la pauvreté ; (...) et je pensais qu’il est bien désagréable d’être enfermé au-dehors ; puis je pensais qu’il est pire peut-être d’être enfermé dedans ; et pensant à la sureté et à la prospérité d’un sexe et à la pauvreté et à l’insécurité de l’autre et à l’effet de la tradition et du manque de tradition sur l’esprit d’un écrivain, je pensais enfin qu’il était temps de rouler en boule la vieille peau ratatinée de cette journée, avec ses raisonnements et ses impressions, et sa colère et ses rires, et de la jeter dans la haie."