LE TEMPS PRESSE...
Le 31 mars, les 140 états membres (soit presque tous les pays du
monde) devront avoir communiqué à l’OMC la liste des services qu’ils
sont prêts à offrir à la concurrence internationale dans le cadre de
l’AGCS (Accord Général sur le Commerce des Services). Les services
visés par l’AGCS ne représentent pas seulement des transactions
commerciales portant sur une valeur de quelque 1’300 milliards de
dollars chaque année, soit environ 22 % de tout le commerce mondial,
mais ils s’étendent à presque toutes les activités humaines. Le
texte mentionne pas moins de 160 secteurs économiques différents.
Citant l’article 1 al. 3-b de l’AGCS, les dirigeants de l’OMC nous
font croire que les services publics ne sont pas concernés, puisque
l’accord englobe " tous les services dans tous les secteurs, à
l’exception des services fournis dans l’exercice du pouvoir
gouvernemental ". Mais ils omettent volontairement de citer le
paragraphe suivant, stipulant que seuls les services gouvernementaux
fournis " ni sur une base commerciale, ni en concurrence avec un ou
plusieurs fournisseurs de services " seront épargnés par l’AGCS.
Par conséquent, les seuls domaines à échapper à la privatisation
sont la justice, la police, la gendarmerie et l’armée. En clair,
cela signifie que des domaines aussi cruciaux que la distribution
d’eau, les chemins de fer, la santé, les services sociaux,
l’éducation, la culture, les sports, les loisirs, les services
financiers, la poste, l’énergie, l’environnement, les
télécommunications ou le ramassage des ordures tombent sous le coup
de l’AGCS. On comprend les convoitises qui se manifestent quand on
sait que le marché mondial de l’éducation est évalué à quelques
2’000 milliards de dollars et celui de la santé à 3’500 milliards de
dollars. Vos enfants à l’école Nestlé ou Vivendi ? C’est pour demain,
puisque l’accord entrera en vigueur à la fin de l’année 2005.
Et l’enseignement public ? Conformément à la clause du " traitement
national ", les pays membres devront accorder les mêmes conditions
et subventions aux puissantes multinationales étrangères qu’aux
entreprises nationales, publiques ou privées. Autant dire que ces
dernières ne résisteront pas aux dures lois de la concurrence. Les
normes légales (droit du travail, protection de l’environnement,
santé publique, etc...) n’y résisteront pas non plus. Pour exemple,
l’un des « modes de fournitures » des services prévus par l’AGCS
illustre bien cette problématique : une entreprise pourra importer
le personnel jugé nécessaire à la fourniture d’un service sur le
territoire d’un autre pays membre,important en même temps des
conditions salariales nettement plus basses que celles en vigueur
dans ledit pays. Ca ressemble à de l’esclavage. On se souvient encore
de la brève entrée en scène de l’AMI (Accord Multilatéral sur
l’Investissement), concocté dans le plus grand secret et mort d’avoir
été dévoilé au grand jour ; eh bien l’AGCS est son digne héritier.
Le moins qu’on puisse en dire, c’est que les médias ne font pas de
zèle pour en dénoncer les enjeux. Même les parlementaires des pays
concernés ont toutes les peines du monde à savoir ce qui se trame :
En Suisse, le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco), qui dirige le
dossier, ne consulte que les milieux économiques intéressés. Le
Conseil Fédéral ne prendra connaissance de la « liste des offres »
(la liste des secteurs économiques livrés en pâture aux
multinationales, par opposition à la « liste des demandes », tout
aussi secrètes, déposée à l’OMC en juin dernier) que quelques jours
avant que celle ci ne soit remise à l’OMC. L’Union Européenne fait
preuve de plus de transparence puisque en novembre 2002, elle a
soumis aux gouvernements de l’UE et aux ONG un résumé de 70 pages de
sa liste d’offres. Effort louable, mais c’est dans les détails que
ce genre d’accord prend toute sa substance.
En Belgique, après un combat acharné, des parlementaires ont réussi
à obtenir un document qui fut distribué dans l’hémicycle et repris
en fin de séance, empêchant toute photocopie. Pour couronner le tout,
impossible, après le 31 mars, de faire marche arrière. Si un
gouvernement décide de rétablir des restrictions à la fourniture des
services, il devra en contrepartie ouvrir un autre secteur à la
libéralisation, ou payer des dédommagements aux fournisseurs
étrangers pour compenser leur manque à gagner. De la science-fiction
? Pas du tout. Et devinez d’où vient cette merveilleuse arnaque ?
Selon M. Hartidge, directeur de la division des services à l’OMC : "
sans l’énorme pression faite par le secteur américain des services
financiers, (S ?) l’accord sur les services n’aurait pas vu le jour ".
Pendant que papa Bush et fiston maintiennent notre attention
focalisée sur le spectacle désolant et fort médiatisé du Pentagone
dans son plus beau rôle, leur valetaille de la World Company signent
en catimini des pactes avec nos gouvernements. 1 L’AGCS est un des
accords cadre que l’OMC (basée à Genève) veut nous imposer ; accords
illimités qui ne seront jamais véritablement achevés, mais en
perpétuelle négociation. Les autres accords cadre sont : - l’accord
sur les obstacles techniques au commerce, - l’accord des mesures
sanitaires et phytosanitaires, - l’accord sur les droits de
propriété intellectuelle liés au commerce, - l’accord sur
l’agriculture, - l’accord sur les investissements liés au commerce,
l’accord sur les règles et procédures régissant l’ORD (l’Organe de
Règlement des Différends, qui est la « cour suprême » de l’OMC,
cumulant les fonctions de juge, partie et organe de recours).
Auteur : Etié lundi 10 mars 2003