Chalon-sur-saône de notre envoyé spécial
Un cri de survie poussé, pendant une minute, par près de deux mille
personnes place de l’Hôtel-de-Ville ; une « pétition vivante » de panneaux
colorés qui s’affichent sur les marches de la mairie ; une foule qui marche
au son de « Santé, culture, éducation, même combat » vers l’Espace des arts,
scène nationale où s’est réfugié le cocktail d’inauguration offert par le
maire UMP de Chalon, Michel Allex... Jeudi 17 juillet, la journée de
lancement de la 17e édition de Chalon dans la rue, le plus important
festival consacré, en France, aux arts de la rue - avec celui d’Aurillac -,
était en phase avec le désarroi actuel des intermittents du spectacle.
Regroupés dans une coordination, ceux-ci organisaient avant l’ouverture du
festival, prévu du 17 au 20 juillet, des assemblées générales dont
l’ambiance houleuse témoignait des dilemmes déchirant les participants. La
précarité qui frappe nombre de compagnies du secteur les rend d’autant plus
vulnérables face aux modifications du statut d’intermittent.
Mais l’annulation successive des festivals plombe l’économie de troupes pour
lesquelles la période estivale constitue un élément essentiel de leur
activité en termes d’exposition et de contrat.
Si, jeudi, le vote de l’AG rassemblant près de 700 artistes et techniciens
se prononçait à 51,27 % en faveur de la grève, la plupart des compagnies du
« in » se démarquaient de cette position en demandant de pouvoir jouer tout en
élaborant de nouvelles formes d’action et de communication.
La veille, Générik Vapeur, compagnie historique, avait ainsi donné, en
avant-première, une représentation de sa nouvelle création,
Pass’partout - Théâtre d’une rue. "Il faut dépasser notre culpabilité,
précisait Philippe Berthelot, codirecteur de la troupe. Nous ne sommes pas
contre la grève, mais je ne veux pas voir le public derrière les grilles
d’un parloir. Il faut redonner de l’énergie au mouvement en y insufflant de
la passion, de la poésie, de l’humour, en reprenant la parole dans nos
spectacles. Travaillons au deuxième acte d’un mouvement social qui, en
septembre, pourrait regrouper enseignants, artistes, chercheurs."
Soutenu par sa troupe, Philippe Nicolle, le directeur de 26 000 Couverts,
choisissait aussi de jouer sa nouvelle création, Le Championnat de France de
n’importe quoi, tout en l’interrompant momentanément pour faire acte de
pédagogie pro-intermittence. "Il faut continuer à lutter contre le
gouvernement et cet accord, expliquait Philippe Nicolle, mais il nous faut
préserver nos outils de travail et repopulariser le mouvement. La fonction
des artistes de rue est de toucher les gens de la rue, or la grève nous
coupe d’eux."
Un collectif regroupant une trentaine de compagnies, dont 26 000 Couverts,
Générik Vapeur, Kumulus et L’Illustre Famille Buratini, proposait, dans un
appel dit du « 18 juillet », "de rester à Chalon hors festival pour prolonger
et approfondir les relations avec le public« tout en conviant »les
compagnies de toute la France à venir -les- rejoindre avec leurs spectacles,
paroles et énergies".
« VOTE BAFOUÉ »
Les artistes grévistes se méfiaient de ces appels. "Le vote a été bafoué,
regrettait Julien Pillet, comédien chez Opus, une compagnie du « in » ayant
choisi l’arrêt des spectacles,puisque l’appel majoritaire à la grève n’est
pas suivi par ceux qui ne veulent pas la faire. Le milieu des arts de la rue
manque totalement de maturité politique."
Si les grévistes promettaient d’abord de ne pas imposer de piquets de grève,
l’ambiance était suffisamment à vif pour que certains choisissent de
perturber le déroulement des spectacles. Jeudi, celui de Royal de Luxe a été
interrompu par les cornes de brume d’une vingtaine d’intermittents,
provoquant un début de bagarre avec Jean-Luc Courcoult, metteur en scène de
la compagnie. Très marquée par cet affrontement, qui fait suite pour Royal
de Luxe à l’annulation de son spectacle à Nantes, Montpellier et Paris, la
troupe décidait le lendemain de quitter Chalon.
Le 18 juillet, nombre de compagnies qui avaient pu jouer la veille,
notamment 26 000 Couverts, Osmosis, Kumulus ou 12 Balles dans la peau,
voyaient leur performance remise en question. La tension était telle que la
Fédération des arts de la rue demandait à la mairie et aux
fondateurs-directeurs du festival, Pierre Layac et Jacques Quentin, l’arrêt
du festival, "devant l’impossibilité que les oeuvres puissent être présentées
de manière satisfaisante aux publics ; face aux risques de fractures
internes aux compagnies et au secteur ébranlés par les conséquences de
l’accord Unedic inique et inefficace".
Si, samedi soir, la municipalité, en conflit depuis plusieurs mois avec les
directeurs du festival, n’avait pas donné sa position, Pierre Layac et
Jacques Quentin déclaraient qu’ils désiraient poursuivre le festival, tout
en soutenant l’appel à la grève générale lancé pour le 19 juillet, et que
l’équipe du festival se réunirait samedi soir pour décider de sa position
quant à la journée de dimanche.
Stéphane Davet
ARTICLE PARU DANS L’EDITION DU 20.07.03