Intermittents : une autre réforme
Le régime d’emploi et d’assurance-chômage des Intermittents du spectacle vivant, du cinéma et de l’audiovisuel constitue une triple exception : sociale - une flexibilité d’emploi sans égale ; culturelle - un système sans équivalent à l’étranger ; assurantielle - le déficit des comptes de l’Unedic sur ce régime croît depuis vingt ans, alors même que l’emploi intermittent dans ces secteurs n’a pas cessé d’augmenter. Toutes les tentatives passées de réforme ont échoué, et chacun anticipe aujourd’hui que celle de 2003 n’ait pas le fin mot de l’histoire. La question qui vient est directe : le risque de chômage dans un système d’emploi totalement flexible est-il véritablement assurable ?
Quel est le diagnostic ? Le système d’emploi-chômage des spectacles est construit sur le déséquilibre. Le nombre d’employeurs a augmenté de 125 % en dix ans, et le nombre des contrats d’emploi de 190 %, mais celui des salariés de 94 %, et le volume total de travail réparti entre eux de 48 %. La responsabilité de l’employeur à l’égard de la carrière de ses salariés intermittents s’est diluée dans le bassin des centaines de milliers de transactions contractuelles annuelles. Et les dépenses d’indemnisation du chômage ont grandi plus vite que la masse salariale.
La relation entre l’employeur et le nouveau système d’assurance-chômage doit se fonder sur une meilleure lisibilité des responsabilités et des comptes de chacun (employeur, salarié, assureur, acteurs publics). Le salarié est en fait d’une nature toute particulière. L’un et l’autre sont incités à coopérer : l’employeur, pour préserver, à un coût imbattable (entièrement modelé sur les besoins exacts de son projet), son droit de tirage sur un réservoir de main-d’oeuvre variée, disponible et disciplinée par la situation de sous-emploi ; le salarié, pour négocier simultanément sa rémunération et son droit de tirage sur l’assurance-chômage.
Le système d’assurance rend viable l’entretien d’une main-d’oeuvre structurellement excédentaire au regard des besoins observés à chaque instant, en raison de la nature même de l’allocation totalement atomisée et fragmentée des emplois dans un système d’activité par projets. L’assurance-chômage offre ainsi une garantie conjointe, aux salariés et à leurs employeurs. Cela est vrai dans le secteur privé, cible de toutes les accusations d’abus, maïs c’est tout aussi vrai du secteur culturel non-marchand financé par les fonds publics de l’Etat et des collectivités locales et territoriales.
La solution à inventer doit prendre acte de ces particularités de la relation triangulaire employeur-assureur-salarié. Le financement de cette assurance-chômage aurait trois composantes solidaires. D’une part, il existe un taux incompressible de chômage frictionnel, dans le secteur des spectacles. Le risque de chômage et la compensation assurantielle nécessaire sont plus élevés que dans l’emploi classique, et la solidarité interprofessionnelle doit jouer son rôle, mais pas exclusivement comme c’était le cas jusqu’ici. On peut estimer cette part des besoins de financement solidaire à un tiers ou à deux cinquièmes de l’enveloppe globale.
Viennent ensuite deux innovations. Le mécanisme assurantiel qui incite le plus directement les employeurs à la responsabilisation est la modulation de leurs cotisations. Il existe déjà : il faut s’inspirer ici d’un système qui remonte à l’origine même de notre droit social, celui la tarification différenciée des cotisations employeur au régime d’assurance des accidents du travail, en fonction de la taille des entreprises, des classes de risque et du degré de mutualisation souhaité des dépenses d’indemnisation. D’où la proposition : les cotisations chômage des salariés demeureraient fixes, celles des employeurs seraient ajustées au coût assurantiel des emplois qu’ils créent.
Cette modulation des cotisations des employeurs aurait pour résultat d’augmenter, dans des proportions variables, leur contribution au régime. D’où une seconde innovation : la contribution des pouvoirs publics, Etat et collectivités locales, au titre de leur politique de soutien à la production culturelle, et parce que les associations qu’ils financent sont massivement créatrices d’emplois intermittents. Parmi les dispositifs qui articulent un mécanisme assurantiel et une aide publique, il faudrait retenir celui qui est destiné à indemniser le chômage partiel, et qui a un triple intérêt : alléger le risque d’entreprise, sous certaines conditions ; éviter un dispositif assurantiel entièrement mutualisé et peu responsabilisateur ; tenir compte des caractéristiques particulières de certains secteurs d’activité qui justifient des aides publiques concertées. État et collectivités locales pourraient s’inspirer d’un tel dispositif pour rembourser aux employeurs du secteur des spectacles une partie de leurs dépenses de cotisations à L’assurance-chômage, en fonction de leurs objectifs d’action culturelle.
Une fois le financement du régime réarchitecturé, la question des règles d’indemnisation des salariés, sur laquelle ont porté toutes les tentatives passées de réforme et tous les conflits, change de profil : elle peut être négociée sur des bases plus équilibrées. Car un tel système produirait une meilleure lisibilité des responsabilités et des comptes de chacun, employeur, salarié, assureur, acteurs publics, au lieu que se perpétuent les jeux troubles du paritarisme et la politisation de ses inerties.
PIERRE-MICHEL MENGER est directeur de recherche au CNRS et à l’EHESS.
L’analyse présentée ici s’inspire d’un article que Pierre-Michel MENGER a publié dans « Droit social », septembre-octobre 2004.
Un contrepoint : Savants, experts, journalistes, de nouveaux prêtres pour un nouveau troupeau ? Le cas de l’intermittence.
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