Bonjour à tous,
Voilà le travail collectif imprimé dans un quotidien national, Libération pour ne pas le re-nommer. Dommage que le titre « Et les vieux techniciens, alors ? » ait disparu, mais, bon, le journaliste est tout puissant. Bonne lecture -
Guy
En matière de précarité, ce n’est pas, comme le préconisait le gouvernement précédent, le code du travail qu’il faut réformer mais le code des impôts.
Intermittents : il faut taxer les nouvelles formes de richesse
jeudi 08 avril 2004
le Groupe Pollen, composé de chercheurs, économistes, fiscalistes et intermittents, de la coordination des intermittents et précaires d’Ile-de-France
Nous avons beaucoup entendu depuis la débâcle électorale de la droite aux régionales que les réformes accomplies, entreprises ou à venir étaient absolument nécessaires et mal comprises ou mal acceptées. Sans doute la réforme de l’assurance-chômage des intermittents fait-elle partie dans l’esprit du gouvernement de ces potions amères que nos docteurs Diafoirus de la Faculté néolibérale prescrivent avec force lavements de cotisations, saignement des ayants droit et purge des emplois administrés à la malade France.
Trop d’allocataires, trop de malades, trop de recherche, trop de notes, trop de trop, une saignée, une saignée !
Nous connaissons un peu le spectacle, c’est notre métier, alors souffrez, Molière oblige, que nous rappelions ici quelques vérités de bon sens concernant tout d’abord notre cas, même si, en cours de route, on verra que le problème est général, d’intérêt général.
Nous, intermittents, nous disons et prouvons depuis un an que la réforme mise en place n’est pas la réforme qu’il faut parce qu’elle est injuste et inefficace. Injuste, car elle n’obéit pas au principe de la solidarité avec les plus fragiles au sein d’une activité imprévisible. Inefficace, car elle ne dissuade nullement les opérateurs publics et privés, centraux et régionaux, de la culture de la communication et de la publicité, de détourner cette forme d’emploi. Certains compensent un sous-financement massif de leur activité, d’autres optimisent leurs profits.
Que nos bons docteurs ne nous traitent ni de sourds ni de simples d’esprit. Qu’ils ne comptent pas trop sur leur supplément de pédagogie ou de bâton pour nous mettre « leur » réforme dans la tête. C’est peine perdue. Nous avons étudié de très près la réforme mise en place. Si nous disons avec constance sur tous les toits dans toutes les manifestations culturelles que nous n’en voulons pas, ce n’est pas parce qu’à l’instar d’ânes butés nous refuserions d’avancer, mais tout simplement parce que nous ne sommes pas d’accord.
Mieux encore, nous avons élaboré une alternative au protocole désastreux qui nous a été imposé. C’est le fruit d’un travail collectif, d’une réflexion qui condense l’expérience en première ligne de centaines d’affiliés de l’Unedic, de confrontations kafkaïennes avec les administrations, consternantes avec les employeurs.
Les bobos et les maladies graves du système, nous les connaissons bien mieux que nos médecins imaginaires. Vous voulez une réforme, en voici une. Des droits stables pour compenser des emplois aléatoires, le soutien mutuel au lieu de l’exclusion que charrie la capitalisation ; les Assedic doivent être un revenu de remplacement et non de complément, certains doivent accepter de cumuler moins, bref, un peu d’égalité dans ce monde de brutes, voilà ce que nous proposons.
Nous réclamons qu’au minimum nous soyons respectés, et, au-delà, comme le souligne Thomas Piketty dans les colonnes de Libération le 29 mars, que notre modèle de réforme soit examiné sérieusement, avec les moyens que ce travail d’utilité publique requiert, avec un véritable accès aux données administratives retenues par l’Unedic. Prenons le temps d’évaluer notre modèle, ses avantages, ses éventuels défauts, et de mesurer les besoins de financement. C’est la seule garantie d’une expertise incontestable. Que ce soit la mission parlementaire présidée par Dominique Paillé (UMP) qui considère que la réforme ne répond à aucun des critères demandés, ou bien le comité de suivi, rassemblant les groupes parlementaires PS, PC, Verts, UDF au complet et des personnalités de l’UMP, dont Marie-Josée Roig nouvelle ministre, on ne compte plus les voix qui s’élèvent pour demander une solution à ce conflit par « la renégociation de l’accord sur les bases des contre-propositions ».
N’étant pas réduit à l’état de ce bon « peuple d’en bas » voué par la grâce de notre grand chambellan du Poitou à la seule intelligence des mains, nous aimons nous servir de notre corps, de notre voix et, au besoin, de notre cerveau. Alors, quelques remarques de plus sur la réforme à long terme du régime des intermittents.
Au chevet des intermittents, se pressent aussi quelques bons conseilleurs ; tel « expert » en statut des artistes s’arroge le droit de juger qui est digne de l’excellence et de trancher dans les effectifs encore plus drastiquement que le protocole du 26 juin. Tel syndicat en la personne de son secrétaire confédéral François Chérèque a, dans les colonnes de Libération du 5 mars, proposé son remède. Ne saignons plus, ne purgeons plus, caisse-complémentarisons ! Ah, la belle médecine générale que voilà ! Chômeurs recalculés, retraités, hospitalisés et autres échaudés, vos pensions, vos indemnités, vos remboursements battent de l’aile, un seul remède : caisse-complémentarisez-vous ! Intermittents, votre régime sera toujours boiteux. Caisse-complémentarisez-vous !
Docteur Chérèque, nous sommes d’avis qu’indemniser des travailleurs précaires à l’emploi par définition discontinu, fagoté de pleins de contrats courts, de plus en plus courts, à partir des recettes des cotisations prises sur les salaires est un vrai tonneau des Danaïdes et qu’il faut faire quelque chose. Mais à propos, dites-nous, n’est-ce pas la situation du bon quart de la population active française qui se retrouve enrôlée sous le joli terme de « forme particulière d’emploi » (la réalité est moins plaisante) ?
Les intérimaires de l’automobile, du bâtiment, de la métallurgie, les saisonniers des stations de ski, les chercheurs contractuels..., n’auraient-ils pas droit eux aussi à leur miraculeuse caisse complémentaire ? Mais quand tous les secteurs auront chacun leur caisse complémentaire, le risque sera réparti sur des effectifs si faibles que la mutualisation sera abandonnée pour une assurance individuelle : les riches auront des compléments corrects, les pauvres auront des compléments misérables. Ah, l’admirable médecine... Nous aurons droit à un régime commun réduit au minimum et, pour le reste, le principe d’assurance y pourvoira, comme dit la fourmi de la fable. Docteur Chérèque, c’est étonnant, mais vous aboutissez aux mêmes remèdes proposés par le médecin du Medef, Denis Kessler et ses sociétés d’assurances.
Docteur Chérèque, nos métiers nous font nourrir un faible pour la cigale. Naïvement, nous pensions que la protection pour tous ceux qui sont le plus exposés à l’insécurité sociale consistait justement à mieux répartir, partager les risques, et non à organiser la charité. Voilà le terrain d’une belle réforme. Pour deux raisons dont chacune se suffit à elle-même.
La première c’est que la maladie de l’emploi est générale. Vous proposez - quelle nouveauté ! - aux salariés flexibles du seul secteur culturel, un traitement exceptionnel : financer cette caisse complémentaire par des aides publiques... Ces sources de financement complémentaires ressemblent d’ailleurs étrangement aux subventions déjà rares de la politique culturelle. Une confusion trop commode : ce n’est pas sur le terrain de la politique culturelle que se résoudra cette question, mais bien sur celui de la solidarité interprofessionnelle. La guérison ne consiste pas à se débarrasser du microbe en le repassant à quelqu’un d’autre.
La seconde c’est que les cigales ne fournissent pas seulement du bon temps aux fourmis qui les entretiennent, comme le pense le baron Seillière, allocataire de la rente garantie. Mais les cigales, comme les abeilles, butinent ; avec quelques autres, elles sont en train de s’apercevoir qu’elles contribuent fortement au lien social, à l’intelligence collective, à la production de connaissance, à la coopération. Il n’est pas jusqu’aux buralistes et aux restaurateurs (d’Avignon ou d’ailleurs), pour ne pas parler des agences immobilières, qui ne dépendent de leur chanson pour savoir ce qu’ils auront dans leur assiette. Qui travaille pour qui ? Tout le monde. Celui qui se vante de faire vivre les autres de son industrie ou de son génie pourrait bien découvrir qu’il dépend lui aussi des intermittents.
La richesse se fabrique dans le grand entrelacs de la société. N’allez pas la chercher seulement dans l’entreprise, car les profits ont appris à se cacher. La richesse se trouve là où elle passe. Et pour passer, elle a besoin de plus en plus d’actifs mobiles. Seulement, aujourd’hui, ces mobiles dont nous sommes sont voués à une condition précaire systématique. Sortir les travailleurs mobiles, non pas de la mobilité, mais de l’insécurité sociale généralisée suppose d’inventer autre chose qu’un financement reposant sur la cotisation sociale.
La droite se délecte à nous raconter tous les jours que nos finances sont à genoux : de moins en moins de recettes et davantage de dépenses. C’est sur ce débat d’intérêt général, sur la réforme de la protection sociale, que nous apportons notre contribution fondée sur nos pratiques. Il faut rompre avec la logique néolibérale de faillite organisée de l’Unedic par la baisse des cotisations, sans alternative de financement, où la variable humaine sert d’ajustement (850 000 recalculés et 30 000 intermittents exclus). La flexibilité devenant la norme et rapportant beaucoup d’argent tout en donnant de moins en moins d’emplois, l’assiette des cotisations ne suffit plus. Nous voyons la richesse là où elle circule (les flux financiers, interbancaires, de communication, autoroutiers...). Il faut réfléchir à d’autres formes d’impôt sur les nouvelles formes de richesse. Le système de prélèvements obligatoires qui devra financer la mobilité reste à inventer. Ce n’est pas le code du travail qu’il faut revoir de toute urgence, comme se préparent à le faire nos grands médecins, c’est le code des impôts.
Qu’enseigne-t-on à tous nos conseilleurs en réforme : peut-être devraient-ils passer par la formation permanente. Ou peut-être une saignée ?
Lien vers l’article sur le site de libération